Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Religion (guerres de). (suite)

La crise de la « monarchie parfaite ».

• La base sociale du recrutement de la « religion de la Vérité » s'élargit vers le haut, les élites urbaines se faisant plus nombreuses à partir de 1545. La dynamique touche même les différentes strates de la noblesse, derrière des princes du sang comme Louis de Condé ou derrière les trois frères Châtillon. De Genève partent des ministres qui ont pour tâche d'aller organiser les communautés de fidèles. Dès 1555, l'Église de Paris est dressée et, l'année suivante, plusieurs milliers de « religionnaires » chantent les psaumes au Pré-aux-Clercs. En mai 1559, à Paris, se tient un synode national qui adopte une confession de foi d'inspiration calviniste.

Surtout, à la multiplication des Églises, dont le nombre dépasserait deux mille en 1562, correspond, du côté catholique, un militantisme qui entrevoit précocement, face à une désunion religieuse qui risque d'attirer sur le royaume la « colère de Dieu », la solution de la violence. Prédicateurs et libellistes demandent publiquement l'éradication des « luthériens », dénonçant toute politique royale qui n'engagerait pas un processus de destruction de ceux qui sont accusés de profaner la gloire de Dieu. Une violence couve dans le royaume, débridée par l'événement décisif de la mort accidentelle du roi Henri II (10 juillet 1559), suivie de l'accession au trône de son fils François II.

La fin du mythe de l'ordre de perfection advient vite, du fait de la stratégie offensive de certains gentilshommes calvinistes qui dénoncent un État royal perverti par le contrôle qu'exercent sur le roi les Guises, accusés d'être des tyrans étrangers et de priver les princes du sang de leur fonction naturelle de « conseil ». Est réclamée une périodicité des états généraux, auxquels est reconnu un droit de contrôle sur la monarchie. Des insurrections iconoclastes ont lieu, les protestants occupant des églises et organisant des cènes publiques. Déjà apparaissent, du côté catholique, des violences collectives dont sont victimes des « hérétiques », violences encouragées par des prêtres et des libellistes : selon eux, tuer un ennemi de Dieu n'est pas un péché.

L'impatience protestante.

• La conjuration d'Amboise (mars 1560), violemment réprimée, intervient dans ce cadre : il s'agissait, derrière un « chef muet », d'aller présenter au roi une confession de foi et, peut-être, de le soustraire par la force à la domination des Guises. La mort de François II (5 décembre 1560) contribue à l'accélération du processus de crise. Au premier semestre 1561, une vague de violences survient dans le Sud-Ouest : dans nombre de villes, des édifices cultuels sont occupés par la force par des religionnaires désirant obtenir un lieu de culte. Parfois, ceux-ci n'en restent pas là : les images sont rompues, les ornements ecclésiastiques, pillés ; puis les iconoclastes partent en troupes proclamer la loi divine dans les paroisses voisines. Sont touchées, à partir du mois d'août, des villes telles que Agen, Montauban, Montpellier... Il est difficile de savoir comment ces violences surgissent : dans quelques cas, elles sont facilitées par la passivité du magistrat ou d'officiers royaux ; dans d'autres, la présence du ministre parmi les iconoclastes, ses probables incitations à détruire les « superstitions », ont dû avoir un effet d'entraînement. Tout laisse entrevoir que, pour les protestants, le « règne de la Vérité » ne peut pas attendre face aux idolâtries. Aux origines de cette mobilisation il y a un providentialisme, et la violence destructrice des profanations vise à enseigner la gloire de Dieu à tous. La violence se veut illumination qui doit permettre à chacun de comprendre que les temps de l'Évangile sont venus et que rien ne peut entraver la restitution de la vraie religion : « La vérité a besogné d'une telle force, que les adversaires en sont comme effrayés, et frayeur les a saisys ! Ô chose admirable. Voicy le jour est venu, et les ombres se sont abaissées... »

La mobilisation catholique.

• L'impuissance de l'État est d'autant plus manifeste que les catholiques, qui refusent toute présence de l'« hérésie », sont engagés dans une mobilisation violente. Les séditions meurtrières initiées par les « papistes » sont nombreuses. Elles éclatent dans des situations précises : quand des huguenots sont découverts chantant des psaumes dans une maison, quand l'un d'eux se précipite au passage d'une procession sur le « Dieu de pâte » et cherche à le jeter à terre, quand une image est découverte souillée, quand jaillit une parole blasphématoire, quand une procession longe des maisons dont les propriétaires ont refusé de tendre des tapisseries, continuent de travailler ou refusent d'ôter leurs chapeaux devant une sainte relique. Les victimes huguenotes sont mises à mort collectivement, puis traînées à travers les rues, avant d'être jetées à la rivière ou abandonnées sur un fumier. Le « peuple » brandit le « glaive de la force et de la justice » par-dessus ceux qui, au nom du roi, exercent « injustement » l'autorité en tolérant que Baal soit honoré aux côtés du Christ. Des affrontements ont lieu lorsque les religionnaires reviennent du prêche ou veulent inhumer un des leurs dans un cimetière : attendus par des catholiques, qu'ils n'hésitent pas à défier, ils sont pris à partie, et certains d'entre eux ne se relèvent pas. La présence de clercs parmi les agresseurs implique une prise en charge de la violence par ceux qui revendiquent d'être institués par Dieu pour veiller sur les âmes des fidèles. Enfin, se constitue (6-7 avril 1561) un triumvirat catholique qui se fixe comme mission la défense de l'unité religieuse du royaume et auquel participent le duc François de Guise, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André.

Le tournant de l'édit de Janvier et son échec.

• La monarchie est prise dans un étau ; elle tente de répondre à cette situation insurrectionnelle dès le mois d'avril 1560 et, surtout, après l'accession au trône de Charles IX (décembre 1560), par l'adoption d'une politique de « modération » défendue par le chancelier de L'Hospital, par la régente Catherine de Médicis et par le groupe des « moyenneurs ». C'est lors de la réunion des états généraux (décembre 1560-janvier 1561) qu'est affirmée la nécessité d'une « tolérance » temporaire qui permettrait aux fidèles des confessions antagonistes de chercher un règlement pacifique de leurs différends : « Ostons des mots diaboliques, noms de parts, factions et seditions, lutheriens, huguenots, papistes : ne changeons le nom de chrétien. » Puis, après l'édit de juillet 1561, qui interdit à la fois les violences contre les réformés et leurs conventicules, c'est par le colloque de Poissy réunissant théologiens catholiques et calvinistes (septembre-octobre 1561) que Catherine de Médicis et son chancelier essaient de briser la dynamique de violences. Sans succès. Enfin, l'édit de Saint-Germain (17 janvier 1562) tente de reconstruire la paix civile sur les bases d'une cohabitation religieuse fondée sur les libertés de conscience et de culte. Pour L'Hospital, il est du devoir du Prince et de ceux qui l'entourent d'empêcher le désordre, de maintenir une « police » fondée sur l'exercice d'une justice. L'État doit s'opposer à la violence, parce que la violence a pour effet l'oubli de Dieu et entraîne sa malédiction sur les hommes : c'est dans la paix civile que les hommes sont en condition d'honorer Dieu. Le Prince est le dispensateur unique de l'ordre, puisque « Dieu nostre Père, ayant d'une main visité nostre Roy, de l'autre l'élèvera plus haut que jamais, et le courronera de graces nouvelles, et de biens non espérés ». La reconstruction de l'ordre politique doit être fondée sur la puissance absolue d'un souverain, qui est le représentant de Dieu sur terre.