Trente Glorieuses (les).
Née sous la plume de l'économiste Jean Fourastié dans un ouvrage paru en 1979, l'expression « Trente Glorieuses » - en référence aux « Trois Glorieuses » de la révolution de juillet 1830 - s'est imposée jusqu'à désigner communément la période d'expansion qui a caractérisé la France des années 1946-1947 à 1975.
Outre la prospérité économique, le pays connaît alors une importante métamorphose sociodémographique et une rapide évolution des conditions de vie, des pratiques culturelles et des mentalités.
Les conditions de la croissance
La croissance française des années 1946-1975 a deux causes principales : d'une part, la modernisation, l'accroissement, la métamorphose des moyens de production ; d'autre part, le gonflement et la transformation de la demande. Outre la croissance du capital, le facteur travail joue un rôle clé, qui se lit notamment dans la progression et la spécialisation des effectifs salariés, dans le déplacement du centre de gravité de l'économie vers le secteur tertiaire. Dès la fin des années 1940, la conjonction de ces éléments génère un gain de productivité, conforté par les stimulations réciproques des progrès techniques et de la consommation. Une consommation elle-même favorisée par la hausse du niveau de vie, la pression démographique, l'évolution des modes de vie et l'urbanisation en cours. Cette évolution est continûment vivifiée, après la reconstruction, par le maintien, puis la hausse, de l'investissement dans les biens d'équipements et par la persistance d'une démarche modernisatrice chez les entrepreneurs. Ces derniers s'appuient surtout sur la demande intérieure et profitent de l'effort de l'État (plan), du perfectionnement des outils de prévision. Comme le souligne Jean-François Eck, « la croissance des Trente Glorieuses ne peut [donc] se comprendre qu'à travers de multiples interdépendances : entre offre et demande, capital et travail, consommation et investissement, facteurs internes et externes, tendances spontanées de l'économie et orientations volontaristes choisies par les pouvoirs publics ».
Les années 1950 : reconstruction et modernisation
De 1950 à 1959, la formidable impulsion donnée par la reconstruction industrielle, par les besoins en biens d'équipement, en infrastructures collectives et en logements, fixe le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) au niveau de 4,6 % l'an. Les efforts faits dans le cadre du premier plan (plan Monnet, 1947-1953) ont pour but de relancer les productions industrielles vitales : charbon, électricité, acier, ciment, transports, tracteurs, carburants, engrais. Cependant, en 1952, les objectifs initiaux ne sont pas atteints (la production est supérieure de 12 % à celle de 1929, meilleure année d'avant-guerre, l'objectif étant de 25 %) ; la croissance de la production industrielle a été de 7 % l'an (21 % pour le charbon, 56 % pour l'électricité, et jusqu'à 220 % pour le ciment, qui bénéficie du boom de la reconstruction).
La machine économique est relancée. De nouveaux instruments sont créés pour surveiller, stimuler et gérer les progrès économiques, tels que le Fonds de modernisation et d'équipement (1948) ou le Service des études économiques et financières (1950). La bataille de l'énergie, des transports, des infrastructures et du logement engage un mouvement - conforté sous le IIe plan (plan Hirsch, 1954-1957) - qui se préoccupe en outre de la reconversion du monde agricole et de celle de la main-d'œuvre en fonction des nouveaux besoins techniques et de consommation.
En 1958, sous l'impulsion de secteurs de production et de consommation nouveaux ou rénovés (électroménager, automobile et logement en tête), l'« aiguillon de la croissance » (Jean-Pierre Rioux) a métamorphosé le paysage économique français. Il a assuré l'« expansion dans la stabilité » - un mot d'ordre rassurant commun à plusieurs présidents du Conseil (Antoine Pinay en 1952, Pierre Mendès France en 1954, Edgar Faure en 1955). Sur une base 100 en 1938, l'indice de la production industrielle est passé à 213 en 1958, tandis que le revenu national a vu son indice grimper de 118 en 1950 à 167 en 1958.
Cette expansion est surtout fondée sur le dynamisme du marché intérieur et sur l'intervention régulatrice et protectrice de l'État. La France opère en effet sa mutation d'après-guerre dans un contexte où la planification indicative donne un rôle moteur au secteur public (Renault, SNCF), favorisant une meilleure gestion de la modernisation infrastructurelle et une politique de réduction des inégalités sociales. Cette orientation s'estompe, cependant, durant le second cycle de l'expansion. L'accroissement de l'investissement permet alors à l'économie française de se mettre à l'heure du monde.
De l'âge d'or de l'expansion à la crise
Sous la Ve République, l'économie française confirme sa vigueur, jusqu'aux chocs pétroliers de 1973-1974. De 4,6 % entre 1946 et 1958, le taux de croissance passe au chiffre impressionnant de 5,5 % de 1958 à 1973. Fait nouveau, cette évolution est soutenue par le gonflement de l'investissement, par la mobilisation de l'épargne, par le recours au crédit ; et, dans les échanges avec l'extérieur, par l'effet du Marché commun (exportations françaises vers l'Europe : + 70 % de 1959 à 1973). La France talonne les pays aux PIB les plus dynamiques (République fédérale d'Allemagne, Japon), se hisse dans le peloton de tête des nations industrialisées, prend part à la mondialisation de l'économie. Témoins de la puissance acquise, les réalisations de prestige chères au général de Gaulle, puis à Georges Pompidou, servent de vitrine internationale. La commercialisation de la Caravelle (1958), l'ouverture de l'aéroport d'Orly en 1961 (lieu le plus visité du début des années 1960), le lancement du paquebot France (1962), la présentation du Concorde et du projet Beaubourg (1969), du train Corail (1973), illustrent l'esprit conquérant de l'époque.
La croissance industrialisante est soutenue et transformée par le déplacement du centre de gravité des secteurs d'activité. Parmi les secteurs en difficulté, l'agriculture accuse la plus forte dépression, suivie par les bâtiments et travaux publics (BTP) et le petit commerce. Parmi les secteurs vigoureux : l'énergie, l'équipement, les industries de consommation, de transport, les télécommunications. Leurs progressions respectives sont comprises entre 8 % (biens de consommation) et 53 % (biens d'équipement). Enfin, à côté du dynamisme de la banque, de l'assurance, de la publicité, et du développement des secteurs de pointe (machinisme, électronique, chimie, notamment), l'industrie et l'économie connaissent un changement d'échelle : la taille des entreprises s'accroît ; les moyens de communication s'améliorent, réduisant ainsi les distances et leur coût.