classicisme. (suite)
Passions
Même si le classicisme apparaît comme une esthétique en situation, il ne faut pas oublier qu'il est un art, et non une doctrine sociale ou une morale de l'art. Boileau ne laisse planer aucun doute sur ce point : « Le secret est d'abord de plaire et de toucher » (Art poétique). La Fontaine s'inscrit dans la même perspective : « On ne considère en France que ce qui plaît : c'est la grande règle et pour ainsi dire la seule » (préface des Fables). Racine lui fait écho dans la préface de Bérénice : « La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. » Faut-il, pour s'en convaincre, lire la Princesse de Clèves, de Mme de La Fayette, ou écouter les Oraisons funèbres de Bossuet ? Toute vraie passion est une compassion. L'univers du classicisme est celui du charme : le paradoxe de l'art classique consiste à revendiquer le flou, alors qu'il se proclame l'ami des règles. Quel aveu plus fort peut-on demander que ce soupir de Pauline devant Sévère : « Un je ne sais quel charme encor vers vous m'emporte » (Corneille, Polyeucte) ? On songe également à l'aveu d'Assuérus devant Esther : « Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grâce / Qui me charme toujours et jamais ne me lasse » (Racine, Esther).
L'extrême précision de l'art classique semble se perdre dans l'indéfini, dans l'infinitésimal. La préciosité, condamnée à juste titre quand elle était ridicule, se voit ainsi réhabilitée : elle protège l'âme, le cœur, le moi, le sujet des vicissitudes mondaines. Le style est la dernière illusion. La naïveté de La Fontaine, la clarté racinienne, la gloire cornélienne, exigent de tout sacrifier à l'art. La Rochefoucauld n'écrit pas sans raison : « L'esprit est toujours la dupe du cœur » (Maximes). La raison classique s'exténue dans l'écriture de la passion. L'ambition historique ou politique, la connaissance scientifique de la nature, le théâtre - espace de purgation des passions ou de correction des vices -, l'analyse philosophique de l'homme, du monde et de Dieu, la domination des passions par la raison, ou leur étouffement par d'autres passions : tout est, au même degré, nécessaire et inutile. Tel est le message littéraire du classicisme.
Enjeux
Que reste-t-il donc du classicisme ? La conscience de la grandeur et de la misère donne à la conscience sa grandeur, tout comme elle la préserve de la misère. Le paradoxe de l'esthétique classique est de faire coïncider l'apogée et l'épitaphe des principaux styles. Quelle fable écrire après La Fontaine, quelle comédie après Molière, quelle tragédie après Corneille ou Racine ? Quel palais souverain construire après Versailles ? Quelle oraison funèbre prononcer après Bossuet ?... Point n'est besoin d'expliquer le classicisme en l'opposant au baroque, aux Lumières, au romantisme, car chaque créateur a été un pionnier ou un rebelle plus qu'un imitateur ou un doctrinaire. L'unité exceptionnelle de langue et de mœurs ayant marqué la France pendant quelques décennies explique, en partie, le nombre non moins exceptionnel des œuvres, ainsi que leur variété et leur diversité. Il n'est pas certain que le créateur classique ait conscience d'être un classique, quelle que soit la force de la tentation ou de la pression académique, mais il a conscience, sans nul doute, d'être un créateur. La passion de la raison, en philosophie, tout comme en physique ou en architecture, éclaire l'ambition classique, mais l'exigence esthétique va au-delà de la passion et de la raison. L'art est une « loi figurative », au sens pascalien, de la vérité ou de la réalité. De même que les preuves les plus certaines de l'existence de Dieu sont dans les miracles, et non dans les ouvrages de métaphysique, la grandeur du classicisme n'est pas dans les règles de cette grandeur, mais, sans doute, dans l'émotion, dans le charme, dans le sublime, dans quelques mots de La Fontaine, dans quelques couleurs de Poussin, dans quelques notes de Lully.