De 1940 à 1944, la France, vaincue et occupée, est soumise à une dictature, sous l'autorité du maréchal Pétain : le régime de Vichy prétend y conduire une révolution afin de « restaurer les vraies valeurs nationales ».
Pourtant, l'expérience tourne court, aussi bien parce que le gouvernement de Vichy a lié son destin à celui de l'Allemagne nazie, que parce que le projet pétainiste, malgré d'incontestables appuis initiaux, finit par dresser contre lui une formidable coalition politique.
L'installation du régime
En mai 1940, une fois la défaite consommée, deux options se présentent au gouvernement de Paul Reynaud. Les « bellicistes » (Reynaud lui-même, Georges Mandel, le général de Gaulle), partisans de la continuation du combat et fidèles à l'alliance britannique, sont favorables au départ du gouvernement vers l'empire. Cette hypothèse suppose l'abandon de la métropole et la capitulation de l'armée, qui laisseraient toute liberté au gouvernement. Les « pacifistes » (Georges Bonnet ou le maréchal Pétain, vice-président du Conseil depuis le 18 mai), estimant que la campagne de France scelle la fin de la guerre, refusent catégoriquement de poursuivre le combat. Le 16 juin, se croyant en minorité au sein du gouvernement à la suite du rejet d'une proposition d'union franco-britannique, Paul Reynaud présente sa démission. Le président de la République, Albert Lebrun, appelle alors le maréchal Pétain pour le remplacer. Ce dernier, le 17 juin, annonce aux Français la fin des combats et la demande de l'armistice.
Plusieurs raisons expliquent le facile succès de la thèse pacifiste. Tout d'abord, les autorités militaires, le généralissime Weygand en tête, ont refusé d'assumer seules la responsabilité de la défaite et ont ouvertement réclamé la signature d'un armistice. En outre, des considérations techniques ont été mises en avant, en particulier par l'amiral Darlan, qui souligne les difficultés de transporter l'armée en Afrique du Nord. Les ambitions politiques de certains, et d'abord celles de Pétain lui-même, le désir de certains autres - tel Laval - de prendre une revanche sur la Chambre du Front populaire et, d'une façon générale, le désir d'une bonne partie de la droite nationaliste d'en finir avec un régime honni ont incontestablement précipité la solution de l'armistice. Enfin, on ne saurait négliger l'immense détresse des Français qui, par millions, fuient sur les routes de l'exode. À ce peuple écrasé par un désastre aux proportions inouïes, et dont la plupart des certitudes politiques, à commencer par la confiance dans la République, sont ébranlées, Pétain adresse un message de réconfort. Fort de l'immense prestige hérité de la Première Guerre mondiale et faisant quasi religieusement « don de sa personne à la France », il promet, comme en 1917, d'épargner des malheurs inutiles. Il annonce également un programme de redressement qui, dans le contexte politique et moral si particulier de l'été 1940, parvient à séduire une large majorité de Français.
L'armistice du 22 juin 1940 n'est donc pas une fin en soi mais le commencement d'une aventure politique. Le 9 juillet 1940, alors que les pouvoirs publics sont transférés de Bordeaux à Vichy, les Chambres votent le principe d'une révision de la Constitution. Le 10 juillet, le Parlement, réuni en Assemblée nationale, vote à une écrasante majorité (569 voix, contre 80, et 20 abstentions) les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et le charge de rédiger une Constitution qui respecte les intérêts « du travail, de la famille et de la patrie ».
La « révolution nationale »
Le projet pétainiste puise ses références à des sources diverses. Il s'alimente du courant antiparlementaire des années 1930. Un certain nombre des thèmes alors développés par les ligues d'extrême droite se retrouvent dans l'argumentaire vichyste : nécessité de moraliser la vie politique, d'abolir un système parlementaire jugé inefficace, et d'établir un pouvoir fort ; nécessité encore d'éradiquer en France la menace communiste. Toutefois, le corps de doctrine est loin d'être homogène, et Vichy récupère aussi à son profit les réflexions des « planistes » (ainsi celles du groupe X-Crise), qui militent en faveur d'un encadrement de l'économie par l'État et de la promotion d'élites techniciennes. Le catholicisme social influence également la pensée pétainiste, de même que certaines réflexions des catholiques personnalistes - on songe à l'équipe d'Esprit -, notamment l'idéal d'une société « communautaire » qui écarterait le double péril de l'individualisme bourgeois et du collectivisme marxiste.