République (IVe). (suite)
Nonobstant, ce serait faire injure à Mollet de réduire son action à l'Algérie. Il relance l'ouverture européenne : la naissance d'Euratom précède la signature du traité de Rome (25 mars 1957). Le taux de croissance économique atteint 10 % en 1956, la troisième semaine de congés payés est généralisée, un Fonds national de solidarité (retraites) créé, la politique de logement maintenue. En 1957, le pouvoir d'achat retrouve le niveau de 1938. Mollet a profité de l'expansion rapide de la période 1953-1957, marquée par la progression de la consommation (plus de 5 % par an en moyenne depuis 1954), qu'illustre l'explosion du parc automobile (multiplié par six depuis 1945).
Ainsi, le molletisme est ambivalent. D'ailleurs, le 21 mai 1957, le gouvernement Mollet - le plus long de la IVe - ne chute pas sur la guerre d'Algérie, ni sur les réformes sociales, mais sur leurs coûts conjugués.
Le régime de la confusion
Après trois semaines d'intenses tractations, le 12 juin 1957, Bourgès-Maunoury, radical pro-Algérie française et ancien ministre de la Défense de Guy Mollet, est investi par la majorité la plus faible qu'ait connue un président du Conseil de la IVe . Il chute le 30 septembre, sa politique algérienne étant jugée laxiste par les uns, trop conciliante par les autres. Félix Gaillard, radical, lui succède (5 novembre). Son gouvernement de « défense républicaine » adopte une loi-cadre présupposant le retour à l'ordre en Algérie. Vœu pieux ou inconsistance ? La gravité de la situation financière elle-même s'oppose à cette politique. La grogne monte : manifestation des policiers devant l'Assemblée (13 mars 1958), résurgence du thème frontiste à gauche, radicalisation antiparlementaire et anticommuniste à droite. Les institutions ne répondent plus. Le système des partis est bloqué. De cette tension naît une instabilité paroxystique. Les événements font le reste.
Le 8 février, l'armée française bombarde Sakhiet-Sidi-Youssef, camp de l'ALN situé en Tunisie, aux confins algériens. L'internationalisation de l'affaire est immédiate. Droite et gauche ferraillent, sans trouver d'issue. L'Assemblée perd définitivement son peu de cohésion et Gaillard démissionne (15 avril). Deux noms s'imposent alors : Pinay et Mollet. Mais René Coty désigne finalement Pierre Pflimlin, président du MRP, ministre à de nombreuses reprises, à qui revient la haute responsabilité d'affronter une très grande confusion politique.
L'agonie
Méfiant, Pflimlin entend s'engager sur la loi-cadre pour l'émancipation de l'Afrique noire, mais place un indépendant, André Mutter, à la Défense, afin de rassurer le camp colonial. L'avenir semble cependant vouloir se jouer à Alger... Le 13 mai, le jour même de l'investiture de Pflimlin, un comité de « salut public » (formé de civils et de militaires) envahit les bâtiments du gouvernement d'Alger et adresse un ultimatum à Coty : le maintien de l'Algérie française ou le chaos. Pflimlin stoppe toute relation avec les insurgés. L'ombre de la guerre civile se profile. Partis et syndicats de gauche manifestent leur désarroi, craignent qu'une déroute donne un blanc-seing pour une politique autoritaire. Sombres nuages, que le retour sur scène du général de Gaulle disperse peu à peu.
Absent depuis 1953, de Gaulle est sollicité, consulté depuis plusieurs mois. À Alger, le général Salan a terminé son discours du 15 mai par un « Vive de Gaulle ! ». Progressivement s'esquisse la « solution de Gaulle ». Le 15 mai, le général propose d'assumer le pouvoir. Le 19, au cours d'une conférence de presse, il rassure en se montrant légaliste. Les putschistes algérois font des émules : le 24 mai, les parachutistes liés au comité d'Alger se rendent maîtres de la Corse. L'armée semble avoir choisi son camp et l'on redoute un débarquement en Méditerranée. Cette menace favorise les ralliements au général de Gaulle. Le 27, celui-ci fait paraître un communiqué disant qu'il a « entamé le processus régulier nécessaire à l'établissement d'un gouvernement républicain », et Pflimlin démissionne dans la nuit. Le 1er juin, de Gaulle est investi avec un gouvernement comprenant trois anciens président du Conseil (Pinay, Mollet, Pflimlin) incarnant la continuité et la légitimité républicaines. Il obtient de l'Assemblée les pleins pouvoirs constitutionnels.
Quelque connotation qu'il prenne, le retour de de Gaulle - assimilé par certains à un coup d'État - libère les esprits et dégage l'horizon malgré la crise algérienne qui continuera de peser sur la vie politique française jusqu'en mars 1962. Durant l'été, le travail constitutionnel est mené à bien et la Ve République est portée sur les fonts baptismaux par le référendum du 28 septembre 1958.
« L'impuissance et l'expansion »
En définitive, la IVe n'a-t-elle été qu'une parenthèse entre un long et difficile après-guerre et la naissance de la Ve ? Sans doute, et il faut pondérer l'image de discrédit qui l'a entourée, jusque récemment, dans la mémoire collective et l'historiographie. Avant tout, la IVe s'est brisée sur le récif algérien. René Rémond souligne que, sans l'Algérie, la IVe aurait peut-être survécu « à l'italienne », malgré ses imperfections constitutionnelles et partisanes et le contexte de crises internationales et coloniales. À aucun moment, cependant, elle n'a su ni pu dégager un équilibre. Cet échec n'est pas le seul fait des politiques et des institutions. C'est aussi celui des électeurs et de l'opinion, fractionnée, indécise. Ainsi, il est évident que la IVe République s'est elle-même condamnée par sa propre incapacité à dégager un espace de discussion et de gestion pacifique dans l'ensemble du corps social et politique. La IVe surtout est morte - par suicide - de n'être pas autre chose qu'un compromis.
Cela étant, « cette République impuissante et troublée ne fut pas stérile » (Jean-Pierre Rioux) sur le plan économique et social. La Ve République est redevable à la IVe d'avoir cimenté le socle d'une modernisation économique et sociale, dont le souvenir - c'est notoire - a été occulté. L'héritage de la IVe a déterminé pour une part la morphologie sociale, économique et culturelle de la République actuelle. À ce titre, la IVe République aura d'abord été un régime de transition.