Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
G

Guerre mondiale (Première). (suite)

Une culture de guerre.

• À l'arrière aussi, les habits de deuil deviennent omniprésents. Dans ce pays de tradition chrétienne, on cherche une consolation dans l'espoir de la résurrection. Les catholiques multiplient les dévotions auprès des saints protecteurs et de la Vierge, qui a donné l'exemple de la souffrance extrême. Imitation du Christ, imitation de la Vierge, imitation de la patrie : la foi en sa patrie, en la victoire de sa patrie, se mêle à des ferveurs diverses. Le sens du sacrifice pour la cause unit républicains libres-penseurs, catholiques, protestants, juifs. Pendant toute la guerre, la société française a été largement traversée d'espérances de type religieux, mystique même : « Dieu est de notre côté. » Croire en Dieu est bien souvent indissociable de croire en sa patrie. Si ce rapprochement ne signifie pas que tous les contemporains aient été croyants, et moins encore pratiquants, il est évident que les valeurs - le bien et le mal - et le vocabulaire de la spiritualité - mystique du combat, union « sacrée » - nourrissent les représentations d'hommes et de femmes persuadés qu'ils participent à une véritable croisade.

La mobilisation des esprits passe par une propagande complexe, parfois dénoncée comme un « bourrage de crâne », selon l'expression qu'emploient les soldats, quand elle nie les réalités meurtrières du front. La censure, la surveillance des correspondances, permettent surtout d'évaluer l'état des opinions publiques : très tôt, la mort des combattants et les récits des permissionnaires font connaître à l'arrière la réalité. La propagande officielle s'appuie sur le patriotisme profond des populations. Elle s'exprime par les affiches, les livres, les journaux, ainsi que par l'école. Élevés au rang de héros, les chefs militaires font l'objet d'un véritable culte. Une énorme production commerciale de guerre utilise le conflit comme publicité permanente. Le fait que ces objets soient achetés massivement prouve que l'ensemble de la société adhère aux enjeux du conflit. Écrivains et artistes mêlent recherches d'avant-garde (Apollinaire) et engagement patriotique. Henri Barbusse, immensément populaire pendant la guerre grâce au Feu (1916), sait probablement le mieux lier patriotisme, évocation des souffrances des soldats et espoir de la paix retrouvée.

De nombreux aspects de vie « normale » subsistent néanmoins, qui permettent de parler de « banalisation de la guerre ».

La France entre guerre mondiale et guerre totale

Les territoires envahis et occupés.

• Lors des offensives de 1914, des centaines de milliers de civils, du Nord et de l'Est, ont fui devant les armées. Le souvenir de cet exode et de la vie de réfugiés pèsera lourd dans l'imaginaire collectif en 1940. Les atrocités commises partout lors de l'invasion, en particulier les viols, les massacres d'otages, les destructions de villages, le pillage, ont été longtemps perçues comme des exagérations, voire des inventions. Réelles ou supposées (le mythe des « mains coupées »), elles ont forgé une haine anti-allemande qui ne se démentira pas pendant l'essentiel du conflit.

Les habitants de dix départements français vivent dès 1914 sous le régime de l'occupation allemande. Malgré le paiement d'indemnités de guerre colossales, les produits industriels et agricoles sont réquisitionnés. Les usines ne tournent plus que pour l'Allemagne ; les jeunes gens et les vieillards, les « brassards rouges », sont contraints au travail forcé. Dans les villes, on souffre de la faim, du froid, du manque de nouvelles du front. Les quelques tentatives de résistance sont déjouées, leurs auteurs, fusillés ou déportés. L'image du soldat allemand varie cependant selon les zones d'occupation. Dans certaines régions rurales, la haine fait place à une cohabitation plus aisée : on oublie le peuple ennemi et corrupteur pour ne voir que l'individu qui subit lui aussi la souffrance. Même une occupation militaire peut se banaliser.

Des Français se battent hors de France.

• En 1915, les Alliés, bloqués à l'ouest, essaient de porter la guerre sur le flanc des puissances centrales. L'Italie, très hésitante, abandonne la Triplice pour s'allier à l'Entente. La grande puissance navale qu'est l'Angleterre convainc la France qu'il faut s'emparer des détroits tenus par les Ottomans pour aider les Russes par le sud. Ainsi est engagée la campagne des Dardanelles, qui se solde par un désastre sanglant. Les poilus d'Orient découvrent, avant Salonique et l'Italie du Nord, que partout la guerre mondiale tue. Les cimetières laissent la trace des efforts de la République.

L'importance de l'Empire français.

• L'Empire fournit tout au long du conflit des effectifs très nombreux : 600 000 combattants et au moins 200 000 travailleurs civils. Les tirailleurs nord-africains et sénégalais participent aux mêmes combats et subissent le même pourcentage de pertes que les forces de métropole. L'apport économique n'est pas négligeable, au moment où l'on commence à instaurer des restrictions en France continentale ; quant au renfort en main-d'œuvre, à l'arrière et au front pour les tâches du génie, il constitue un avantage très important face aux Allemands, de plus en plus asphyxiés par le blocus économique et l'absence de bases coloniales. Les Français découvrent exotisme, paternalisme et racisme ; les Africains sont désormais considérés comme de grands enfants plus que comme des barbares. Les peuples colonisés prennent aussi conscience de leurs différences et sauront les affirmer par la suite : parmi les indigènes venus au secours de la « mère patrie » - non sans que certaines révoltes ne montrent les limites de la conscription forcée -, d'aucuns exigeront une reconnaissance de citoyens.

Des doutes de 1917 à la victoire de 1918

Lassitude et refus : démobilisation dans la mobilisation.

• Paradoxalement, l'idée que la guerre serait courte et la victoire à portée de semaines s'est maintenue pendant l'essentiel des années 1915 et 1916. Même au printemps 1917, les soldats français demeurent persuadés que l'offensive victorieuse est enfin proche. Mais la guerre d'usure et les attaques meurtrières entraînent des refus d'obéissance et des désertions qui, en 1917, se transforment en véritables mutineries, après l'échec du général Nivelle au Chemin des Dames. Pour comprendre ces mouvements, il faut retourner la question la plus banale et se demander non pas pourquoi les soldats se sont mutinés, mais pourquoi ils ne furent pas plus nombreux à le faire. Ce sont les conditions terribles de vie et de mort qui sont à l'origine des révoltes, et non la propagande révolutionnaire : des soldats-citoyens acceptaient de mourir pour la juste cause de leur patrie, et la grande majorité d'entre eux ne pouvaient concevoir d'abandonner cette « guerre contre toutes les guerres ». Ils ne remettaient donc pas en cause la légitimité du conflit mais sa conduite et « les plans imbéciles de l'état-major ». Le général Pétain comprend la situation, améliore le système des permissions et l'ordinaire des soldats. 3247 soldats français sont finalement jugés par les tribunaux militaires, 554 condamnés à mort, 49 exécutés, sur 30 à 40 000 mutins. Au même moment, 400 combattants meurent chaque jour, en moyenne, sur « l'autel de la patrie ».