Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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protestants (suite)

Bravant les interdictions, nombre d'entre eux décident de courir tous les risques et de quitter la France pour conserver leur liberté religieuse. Entre 1685 et 1700, environ 200 000 parviennent à s'installer dans les pays protestants : Suisse, Angleterre, Pays-Bas, Allemagne. Par conséquent, la communauté s'affaiblit, d'autant que ceux qui partent sont souvent jeunes et particulièrement entreprenants. Privés de pasteurs au début, ceux qui restent ont des conditions de vie très difficiles. Certes, la famille constitue une « petite Église », mais les autorités civiles et ecclésiastiques traquent chez eux les moindres manifestations publiques de pratique religieuse : la déclaration royale du 1er juillet 1686 prévoit ainsi la peine de mort pour ceux qui « seront surpris faisant [...] quelque exercice de religion autre que catholique ». Pourtant, assez vite, les protestants décident de résister à ces injonctions en tenant des assemblées clandestines dans des lieux écartés, sous la direction de pasteurs rentrés en France, ou de prédicants (des laïcs qui font office de pasteurs sans avoir suivi les études requises). Une violente répression s'abat sur eux ; mais, malgré les exécutions, les galères et les prisons, les assemblées ne cessent pas, manifestant non seulement la fidélité des protestants à leur foi, mais aussi la survivance de l'Église réformée. Dès 1689, grâce à Claude Brousson (qui sera exécuté en 1698), on y célèbre la sainte cène. Durant cette période, on note également des manifestations de prophétisme de la part de jeunes gens qui se jugent inspirés par le Saint-Esprit et exhortent les huguenots à rester fidèles.

La cour et le clergé catholique ne relâchant pas leur pression, la résistance prend parfois un tour violent. C'est le cas en 1702-1704, pendant la révolte armée des régions protestantes des Cévennes, connue sous le nom de « guerre des camisards », où s'illustrent notamment Jean Cavalier et Pierre Laporte (dit « Roland »). Les camisards sont finalement vaincus, mais il aura fallu mobiliser des milliers de soldats pour en venir à bout. C'est pourquoi les autorités sont conduites à modérer quelque peu la répression.

La clandestinité (1715-1787).

• À la mort de Louis XIV, bien des protestants espèrent le rétablissement de l'édit de Nantes. Il n'en est rien, si bien que, sous la direction d'Antoine Court (1695-1760), ils entreprennent de restaurer une organisation ecclésiastique complète et clandestine. D'abord dans les Cévennes, puis, de proche en proche, dans les autres régions. Peu à peu, l'Église se reconstitue, avec des pasteurs (souvent formés à Lausanne), des consistoires, des colloques et des synodes. Par ailleurs, jusqu'au milieu du siècle, tout en résistant, les protestants sont souvent réduits à pratiquer, pour subsister, une sorte de double jeu qui consiste à effectuer le minimum d'actes extérieurs - mariage, baptême - qu'exige l'Église catholique pour obtenir une existence légale. Ensuite, à partir des années 1740-1750, ils s'enhardissent jusqu'à se marier et à faire baptiser leurs enfants « au Désert », clandestinement, par un pasteur souvent itinérant. Avec le temps et les progrès des valeurs de tolérance, la répression se fait moins vive, puis intermittente, mais elle ne cesse pas. Ainsi, la dernière exécution d'un pasteur pour cause de religion (celle de François Rochette) a lieu en 1762, tandis que le dernier pasteur martyr, François Charmuzy, arrêté en 1771, meurt des suites des mauvais traitements que lui ont infligés ses geôliers. Quant aux ultimes « galériens pour la foi », ils ne sortent du bagne qu'en 1775. En Alsace, dès les années 1720, la situation se normalise, et les protestants peuvent mener une vie publique. Ils sont donc en mesure de participer aux grands courants intellectuels et théologiques du temps, marqués par la diffusion de la philosophie des Lumières, mais aussi par le mouvement piétiste. En 1789, on compte en Alsace environ 200 000 protestants, 160 paroisses et 200 pasteurs.

Vers la tolérance.

• À partir des années 1760, le maintien des persécutions semble anachronique pour une bonne partie des populations cultivées. En effet, il est de plus en plus évident que la tentative de conversion par la force a échoué. Certes, l'hémorragie du Refuge et le ralliement à l'Église officielle des « tièdes » ou des isolés affaiblissent le protestantisme français, si bien que, vers 1789, l'Alsace mise à part, on ne compte guère plus de 525 000 réformés, qui sont desservis, clandestinement, par quelque 180 pasteurs. En outre, désormais, l'écrasante majorité des huguenots sont des ruraux dont le niveau de culture n'est pas toujours très élevé. Enfin, en les tenant isolés des grands courants de la vie intellectuelle, les persécutions entraînent un appauvrissement de la théologie qui se fera longtemps sentir. Cependant, dès lors que l'État ne tente plus réellement de faire disparaître les huguenots, il devient difficile de ne pas leur octroyer un statut légal. Divers projets vont dans ce sens ; le fils d'Antoine Court (dit « Court de Gébelin ») entame même des négociations officieuses. Finalement, en 1787, Louis XVI signe un édit - appelé en général « édit de tolérance » - qui, tout en refusant aux protestants la liberté de culte, leur reconnaît néanmoins une existence légale, par le biais d'un état civil laïc. Sans doute est-ce là le maximum que peut accorder, alors, un roi « très-chrétien ».

La réintégration dans la communauté nationale

La Révolution française.

• Déçus par l'édit de 1787, les huguenots s'estiment en droit de réclamer l'égalité civile d'une part, la liberté de culte d'autre part. Aussi sont-ils satisfaits de l'évolution qui se dessine dès l'été 1789. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame l'égalité entre les hommes et la liberté religieuse ; la loi du 24 décembre 1789 affirme l'accessibilité des non-catholiques à tous les emplois. Plusieurs autres mesures prises en 1790 (la restitution aux héritiers survivants des biens confisqués aux huguenots réfugiés, par exemple) parachèvent ce que les protestants interprètent comme une réparation des injustices de l'Ancien Régime. Enfin, les nouvelles autorités les laissent établir librement leurs Églises locales et leurs synodes. Aussi n'est-il pas surprenant de constater que l'immense majorité des huguenots se range dans le camp des partisans de la Révolution. Mais leur sympathie va au-delà de cette simple reconnaissance historique. En effet, rien dans la doctrine protestante n'est hostile à la philosophie des Lumières, qui constitue le fondement de l'action des révolutionnaires. Se sentant davantage les inspirateurs que les simples « héritiers » des principes de 1789 - notamment grâce à l'œuvre du protestant Jean-Jacques Rousseau -, les huguenots soutiennent ainsi tout naturellement le nouveau cours de l'histoire.