Gaule (suite)
Les villes s'insèrent dans un tissu rural très dynamique. L'archéologie et la photographie aérienne ont été décisives, au cours de ces dernières années, pour modifier la vision traditionnelle et montrer l'intensité de l'exploitation du sol qui se met en place dans la Gaule romaine. On peut même affirmer que c'est à cette époque, et non au Moyen Âge comme on l'a longtemps cru, que se met en place, pour l'essentiel, le paysage rural français (du moins jusqu'aux remembrements modernes). Un cadastre est institué, qui facilite la perception de l'impôt foncier, les confiscations éventuelles, et ordonne le paysage. À Orange, on a retrouvé l'un de ces cadastres gravé sur le marbre. Jusqu'à nos jours, ces découpages cadastraux sont restés perceptibles dans le paysage (orientation des chemins et des haies).
L'habitat rural se compose de bourgades d'importance moyenne (dont Bliesbrueck, en Lorraine, offre un bon exemple), de villages (vici, en latin), de hameaux et de fermes de grande exploitation. Parmi ces dernières, on distingue usuellement la villa typique, transposée du modèle romain, avec son plan strict, ses bâtiments en pierre, ses enclos quadrangulaires, sa demeure principale aux murs parfois ornés de fresques ; et la ferme traditionnelle ou « indigène », héritée des grandes propriétés de la fin de l'âge du fer, avec ses enclos irréguliers et ses bâtiments en bois. La réalité est plus complexe, architectures de pierre ou de bois et de terre se mêlant fréquemment.
L'occupation du sol est très dense, comme l'ont confirmé des prospections archéologiques intensives dans des régions - la Picardie ou le Berry, par exemple - longtemps considérées comme peu peuplées. Les sols lourds des plateaux sont massivement défrichés et cultivés, ce que permet l'araire à soc dissymétrique, qui annonce la charrue. Dans les grandes plaines du Nord, on utilise la « moissonneuse gauloise », sorte de large brouette, munie de dents et poussée par un animal, qui fauche les céréales. Les Romains introduisent dans le Midi l'olivier et la vigne, qui se développent rapidement. Le vin gaulois se répand, et on a retrouvé à Sallèles d'Aude des ateliers industriels d'amphores gauloises, dont l'usage est contemporain de celui du fameux tonneau gaulois en bois.
Parmi les productions artisanales, la poterie est particulièrement bien connue, notamment la céramique sigillée, vaisselle d'usage courant, de couleur rouge, et aux décors en relief. Fabriquée à l'origine à Arezzo, en Italie centrale, elle est également produite en masse à Lyon, puis, dès le Ier siècle, dans des ateliers du Midi (La Graufesenque, près de Millau) et du Centre (Lezoux), où des millions de pièces sont fabriquées et exportées dans tout l'Empire.
Les religions de la Gaule
La vie religieuse de la Gaule revêt des formes variées. La religion officielle est celle de Rome, mais César et d'autres dignitaires romains ont immédiatement assimilé, avec plus ou moins de pertinence, les divinités gauloises à celles de Rome, supposées universelles. Il ne reste alors aux Gaulois qu'à reprendre ces noms latins à leur compte, en leur adjoignant, au besoin, suivant les lieux et les circonstances, des qualificatifs gaulois (Apollon-Bélénus, Mercure-Sylvanus). Des formes multiples de syncrétisme sont attestées, et on voit parfois sur une même stèle le dieu gaulois à ramure de cerf Cernunnos voisiner avec Apollon et Mercure. Une bonne partie de nos documents sur la religion gauloise sont d'ailleurs d'époque gallo-romaine. La spécificité gauloise est visible dans les sanctuaires, dont plusieurs centaines ont été répertoriées. Ils adoptent des formes particulières, les bâtiments étant entourés d'une galerie, et orientés à l'est - alors que les temples gréco-romains sont orientés à l'ouest. Les sanctuaires liés à des sources supposées guérisseuses constituent une autre originalité, d'autant que deux d'entre eux, à Chamalières et aux sources de la Seine, nous ont livré toute une statuaire en bois - préservée grâce à l'humidité - inconnue ailleurs.
Rome a exercé un certain contrôle sur ces cultes, interdisant rapidement les sacrifices humains mais aussi l'activité des druides. L'un des piliers de l'ordre romain a d'ailleurs été le culte de l'empereur, rendu un peu partout, et spécifiquement à Lyon, où un autel confédéral est élevé à partir de 12 avant J.-C. Des délégués de toutes les cités gauloises s'y réunissent chaque année pour y célébrer le culte « de Rome et d'Auguste », y organiser des jeux et réaffirmer ainsi leur fidélité. À ces divers cultes viennent bientôt s'ajouter, à partir des IIe et IIIe siècles, des religions orientales. La plus répandue est d'abord le culte à mystères de Mithra, divinité solaire d'origine perse dont on a retrouvé plusieurs sanctuaires. Mais c'est le christianisme, diffusé en premier lieu en milieu urbain (Lyon, Lutèce), qui, avec ses diverses hérésies, est promis au plus bel avenir ; d'abord combattu, il est autorisé en 313 par Constantin Ier et devient peu à peu la religion majoritaire, puis officielle - le paganisme étant finalement interdit par Théodose Ier en 392.
Invasions et continuité
Depuis un certain temps déjà, on ne considère plus le Ve siècle comme celui d'invasions barbares soudaines et catastrophiques qui auraient brutalement mis fin à l'Empire romain. Il y a certes des dates fatidiques : le 31 décembre 406, Vandales, Alains, Burgondes et Suèves franchissent le Rhin gelé, balayant les garnisons du limes, et se répandent dans l'Empire ; en 410, Rome est pillée par le Wisigoth Alaric Ier, puis, en 455, par le Vandale Genséric ; en 476, le dernier empereur officiel de l'Empire romain d'Occident, Romulus Augustule, est déposé par ses troupes barbares, ce qui marque peut-être la fin de l'Antiquité et le début du Moyen Âge.
La réalité est cependant plus nuancée. D'une part, les différents peuples barbares ne mobilisent souvent que quelques dizaines de milliers d'individus. D'autre part, le but ultime de ces populations n'est pas le saccage, mais une installation paisible sur des territoires à la fois opulents et éloignés des menaces d'envahisseurs originaires de contrées encore plus orientales. Aussi, les différents princes barbares demandent-ils en fait à intégrer un Empire qui reste pour eux une référence prestigieuse. C'est pourquoi Rome conclut avec eux des « traités » (foedus) qui font de ces peuples des « fédérés ». C'est le cas des Wisigoths en Aquitaine à partir de 418, des Burgondes dans le sud-est de la Gaule en 443, et enfin des Francs dans le nord du pays dès 448. La présence de ces peuples est ainsi légalisée, tandis que leurs guerriers sont enrôlés sous la bannière de l'armée romaine. On a pu remarquer que l'invasion d'Attila et des Huns, qui entraînent derrière eux divers peuples germaniques, et son arrêt aux champs Catalauniques par Aetius en 451, ne signifient pas le choc de Rome contre les Barbares mais plutôt l'affrontement de deux coalitions armées composites, toutes deux germaniques pour l'essentiel !