droite (suite)
Après 1870, une partie d'entre eux, avec Thiers, se rallie à la République pour l'empêcher de glisser vers le radicalisme ; d'autres, autour du duc de Broglie, préfèrent, comme en 1848, l'alliance légitimiste pour préparer une hypothétique restauration. Après leurs défaites de 1876-1877, ces tenants de l'Ordre moral s'affaiblissent peu à peu, certains allant jusqu'à abandonner leur identité libérale pour se rapprocher du nationalisme.
Mais le courant libéral conservateur se survit sous une autre forme. Face à la montée de l'extrême gauche, les républicains « progressistes » des années 1890 deviennent avant tout des défenseurs de l'ordre établi. Dès l'affaire Dreyfus, certains d'entre eux se rapprochent de la droite catholique ralliée. Presque tous refusent ensuite l'anticléricalisme virulent du Bloc des gauches et s'opposent à l'impôt sur le revenu. À la veille de la Première Guerre mondiale, la Fédération républicaine est nettement orientée à droite. L'Alliance démocratique, incontestablement républicaine et laïque, mais avant tout hostile au « collectivisme », prend place au centre droit.
Bonapartisme et nationalisme.
• Comme l'orléanisme, le bonapartisme a d'abord été situé à gauche. Bonaparte, soldat de la République, lié à des notables bénéficiaires de la Révolution, n'est assurément pas un « blanc ». Il combat les royalistes qui refusent de se rallier au régime impérial. Même quand ce dernier évolue vers une monarchie absolue, le système politique n'équivaut pas à une restauration de l'Ancien Régime. D'ailleurs, revenu de l'île d'Elbe (mars 1815), Napoléon apparaît avant tout comme le défenseur de l'héritage de 1789. Sous la monarchie de Juillet, les valeurs bonapartistes sont, à part le culte de l'autorité, proches de celles du parti du Mouvement : gloire nationale, attachement au legs de la Révolution, condamnation de l'exclusivisme professé par le parti de la Résistance. Pour élire Louis Napoléon Bonaparte président de la République en décembre 1848, les « rouges », qui voient en lui un César populaire, mêlent leurs voix à celles des « bleus » et des « blancs ». Si Louis Napoléon Bonaparte collabore ensuite avec le parti de l'Ordre, il cherche aussi à s'en dissocier. Mais son coup d'État de décembre 1851 ne peut réussir qu'en brisant la résistance républicaine. Acclamé comme un sauveur par la grande majorité des bourgeois et des paysans et par le clergé, Napoléon III incarne désormais un centre droit autoritaire. Privilégiant les rapports directs entre le chef providentiel, qui abaisse le Parlement, et le peuple par la pratique du plébiscite, le bonapartisme entend dépasser les oppositions stériles des classes et des partis pour mieux assurer le bonheur des Français et la gloire de la France. Il s'oriente in fine vers un compromis avec l'orléanisme. Mais il ne se relèvera pas du désastre de 1870. Abandonné par les notables, il perd aussi peu à peu les solides appuis qu'il avait acquis dans le monde paysan. Contre les républicains victorieux, il s'allie aux conservateurs, et glisse de plus en plus vers la droite. À la fin du siècle, il ne constitue plus une force politique à l'échelon national mais une survivance localisée.
Mais, comme les autres droites, il n'est pas sans postérité. Il a été, en effet, relayé par le nationalisme antiparlementaire, dans le sillage du général Boulanger, de Déroulède et de Barrès. Certes, le nationalisme se distingue du bonapartisme : le sentiment dynastique a disparu ; l'antisémitisme et l'antimaçonnisme jouent un rôle grandissant ; les adhérents sont issus des classes moyennes et du peuple des villes plutôt que de la paysannerie. Pourtant, les ressemblances entre les deux mouvements sont évidentes : même appel à l'homme fort, censé chasser les parlementaires inefficaces et corrompus, rassembler les Français sans distinction de classe et préparer « la revanche » contre l'Allemagne. Ce « national-populisme » se structure volontiers en ligues. Ces dernières sont néanmoins très diverses : il y a loin du légalisme conservateur de la Ligue de la patrie française à l'activisme de la Ligue des patriotes et à l'extrémisme violent de la Ligue antisémitique ou du syndicalisme « jaune », où certains historiens, tel Zeev Sternhell, ont pu déceler les prémices du fascisme. Tout bien pesé, c'est pourtant l'héritage bonapartiste qui est le plus évident.
L'évolution des droites au xxe siècle
Les trois grandes traditions de droite présentes à la Belle Époque ont-elles survécu aux bouleversements du XXe siècle ?
En 1914-1918, la République a su réaliser l'union nationale et gagner la guerre : la mise en question du régime par les monarchistes paraît désormais hors de saison. Le loyalisme patriotique de l'Église, la « fraternité des tranchées » ont atténué les méfiances et les haines entre catholiques et anticléricaux : malgré de nombreuses récurrences, la « question religieuse » perd une partie de son acuité. Dans un contexte international d'extrêmes tensions, la politique extérieure devient une préoccupation essentielle, et elle le restera après 1945. Enfin, avec la révolution russe de 1917, la « question sociale », déjà très présente dans la seconde moitié du XIXe siècle et à la veille de 1914, suscite de très vifs débats. Ces changements dans la hiérarchie et la nature même des enjeux ont des répercussions sur les forces politiques en présence.
Survivance du traditionalisme.•
Dominé désormais par Charles Maurras, le courant traditionaliste de la droite s'est maintenu. Bien qu'affaiblie par la condamnation pontificale (1926), l'Action française repart très vite à l'assaut du régime. Durant la crise des années trente, les idées maurrassiennes contribuent à saper la confiance qu'une partie des élites avaient en la République. Avec le catholicisme social conservateur, ces idées inspireront le régime de Vichy : répudiation de l'individualisme et du parlementarisme, exaltation de la famille et des valeurs agrariennes, corporatisme, faveurs accordées à l'Église, culte du chef, antisémitisme. Tous ces principes, mis en œuvre par le maréchal Pétain, comblent l'attente des traditionalistes. Mais, solidaire de l'Allemagne dans la lutte contre le « bolchevisme » et contre la Résistance, la droite vichyste est entraînée dans la défaite du IIIe Reich. Elle connaît cependant des résurgences à la faveur des guerres coloniales, de l'opposition à l'aggiornamento de l'Église et, surtout, de la crise de la fin du XXe siècle.