Guerre mondiale (Première). (suite)
Pourtant, les manifestations nationalistes sont prises au sérieux dans les autres pays : Russes et Français craignent la force des Allemands, qui eux-mêmes se croient agressés de toutes parts, isolés. Ce sentiment de menace a beaucoup compté dans l'organisation des deux alliances, la Triplice et la Triple-Entente. Cette dernière, qui réunit France, Grande-Bretagne et Russie, apparaît quelque peu surprenante, liant deux démocraties et une autocratie. Pourtant, par sa solidité, elle va, dans les premiers jours d'août, rendre la guerre possible.
Depuis 1911, les guerres et crises balkaniques ont mis en évidence la force du nationalisme serbe. Or derrière la Serbie se trouve la Russie, derrière l'Autriche-Hongrie, l'Allemagne. Les nationalistes qui assassinent l'archiduc héritier d'Autriche à Sarajevo, le 28 juin 1914, ne se soucient guère des conséquences diplomatiques de leur acte. Pourtant, le jeu des alliances, le peu d'implication du Royaume-Uni dans la crise, dont l'Allemagne conclut qu'il n'interviendra pas dans un conflit continental limité, précipitent en quelques jours l'Europe entière dans le drame. Le piège de l'idée nationale s'est refermé sur les peuples d'Europe. Le président de la République Raymond Poincaré et le président du Conseil René Viviani de retour d'un voyage en Russie, redoutent avant tout de perdre leur grande alliée. Les Allemands et les Autrichiens ont pris le risque d'un conflit limité aux Balkans, qui se transforme en guerre européenne : entre le 28 juillet et le 4 août, tout est scellé.
Les Français, surtout dans les campagnes, sont loin d'avoir accueilli la guerre avec enthousiasme, d'autant que cette France rurale en est à l'époque des moissons (« Voilà le glas de nos gars qui sonne »). On s'engage cependant avec la résolution du patriotisme défensif, légitimé par l'agression subie. Et, surtout, on a l'illusion que la guerre sera courte, que l'on étrillera vite les « Boches » (le mot, héritage des années 1880, réapparaît en août 1914), que l'on « sera revenu pour les vendanges ».
Même les socialistes qui, dans les derniers jours de juillet, manifestaient contre la guerre, se rallient finalement à la politique de défense nationale. Jean Jaurès lui-même, assassiné le 31 juillet par un exalté, Raoul Villain, avait déclaré dès le 18 juillet : « Il n'y a aucune contradiction à faire l'effort maximum pour assurer la paix, et, si la guerre éclate malgré nous, à faire l'effort maximum pour assurer, dans l'horrible tourmente, l'indépendance et l'intégrité de la nation. » Les socialistes font passer leur patriotisme avant la lutte des classes ; aussi ne sera-t-il pas nécessaire de procéder aux arrestations d'antimilitaristes prévues par le carnet B.
Le 4 août, le président Poincaré forge la formule clé de la guerre : l'« union sacrée », pensée à l'origine comme une simple « trêve des partis », indispensable pour remporter une victoire que l'on se promet très rapide.
« La guerre imaginée était une guerre imaginaire » (Marc Ferro).
• Le plan de l'état-major, qui prévoit une guerre offensive, entretient l'illusion dans les premières semaines de la guerre. 3,6 millions d'hommes ont été mobilisés et acheminés en train avec une grande efficacité. Mais les militaires sont persuadés que, malgré les progrès techniques, dans l'artillerie en particulier, la cavalerie et l'énergie morale des hommes seront les armes les plus efficaces. L'uniforme au pantalon rouge et le manque de casques efficaces démontrent bien que l'armée entend alors se battre comme en 1870.
Sur le front occidental, les Français entrent en Alsace allemande en application du « plan XVII », mais la prise de Mulhouse restera sans lendemain. En revanche, le plan allemand « Schlieffen » se révèle plus efficace : les Allemands, qui comptent vaincre la France en quelques semaines avant de se retourner contre les Russes, traversent la Belgique et le nord de la France : c'est la bataille des frontières. Les généraux cèdent à la panique et le gouvernement part pour Bordeaux le 4 septembre. Les Allemands sont à quelques dizaines de kilomètres de Paris quand la « miraculeuse » bataille de la Marne, due plus à une mauvaise manœuvre allemande qu'au génie du général Joffre, stoppe leur avance. Chacun des deux camps essaie alors de rejoindre la Manche et la mer du Nord en une course à la mer, où la France tente d'occuper au maximum les côtes afin que l'allié britannique puisse continuer à débarquer hommes et matériel.
Dès novembre 1914, les offensives de la guerre de mouvement sont arrêtées après des pertes humaines épouvantables. En décembre, 300 000 Français sont morts, au moins deux sur trois ayant été sacrifiés à la mystique d'offensives insensées. Les soldats ne sont pas rentrés victorieux à l'automne. Ils s'installent alors pour un premier hiver de boue, entre mer du Nord, Artois, Champagne et Lorraine.
À l'avant dans les tranchées
L'enlisement dans la guerre de position.
• L'impossibilité de vaincre rapidement a bloqué les armées face à face en un double front, l'un à l'ouest, qui s'étend de la mer du Nord à la frontière suisse, l'autre à l'est, de la Baltique aux Carpates. La guerre des tranchées met en évidence l'incapacité de chacun des deux camps à l'emporter militairement. À l'ouest, le front forme deux lignes sinueuses de sept cents kilomètres de long, où se croisent réseaux de tranchées et boyaux de communication. Les adversaires ne sont séparés que par quelques centaines de mètres recouverts de barbelés, le no man's land. C'est à partir de ce système de protection que Français et Allemands organisent les offensives destinées à user l'adversaire, voire à percer enfin le front.
La mystique de l'offensive.
• En effet, les désastres de 1914 n'ont pas convaincu les états-majors de l'impossibilité d'offensives frontales, et les deux camps restent persuadés de pouvoir l'emporter par la guerre d'usure. Le front, devenu tranchée, ne correspond pas aux leçons apprises à Saint-Cyr : avancer, toujours avancer. Aussi, dès 1915, les Franco-Britanniques tentent de percer en Artois et en Champagne. Sans succès. L'année 1916 est celle de « l'enfer », à Verdun, lieu de la plus extraordinaire bataille de la guerre pour les Allemands et les Français. Malgré leurs 240 000 morts, les Allemands ne réussissent pas à « saigner à blanc » les forces françaises. Quant aux 260 000 morts français, ils témoignent de l'engagement de toute l'armée voulu par le général Pétain. La bataille de la Somme, engagée en juillet 1916 par les Britanniques, est, bien plus encore que Verdun, le lieu de l'hécatombe internationale sous les pilonnages de l'artillerie. À la fin de l'année, il est évident que la tactique de l'attaque frontale est un échec : on arrive parfois à percer le front de quelques kilomètres, mais jamais à se maintenir durablement sur les positions conquises. Pourtant, en 1917, une nouvelle offensive est lancée au Chemin des Dames, de nouveau au prix de la vie de dizaines de milliers d'hommes.