Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
S

Sartine (Antoine Raymond Jean Gabriel de), (suite)

Nommé secrétaire d'État à la Marine en 1774, entouré de conseillers (Fleurieu), Sartine rénove la marine de Colbert et poursuit l'œuvre de Choiseul (1764) et de Boynes (1771), faisant promulguer les ordonnances de 1775-1776. Par elles, il accroît le pouvoir de l'épée sur la plume, privilégiant les officiers au détriment des administrateurs civils, et augmente les crédits de son département : 35 millions de livres en 1776, 169 en 1780 ; il fait construire vaisseaux et frégates, et reprend l'idée de Tourville de former cadres et équipages à bord d'escadres d'évolution armées tous les étés. Il dote ainsi la marine des conditions nécessaires au succès, alors que s'ouvre la guerre d'Amérique (1778). Mais, en conflit avec Necker du fait de l'énormité des dépenses de son département, il doit quitter le ministère le 14 octobre 1780, laissant Castries tirer les fruits de son travail. Conseiller d'État ordinaire l'année du victorieux traité de Versailles (1783), Sartine émigre à la Révolution et meurt dans le pays de sa naissance.

Sartre (Jean-Paul),

écrivain et philosophe, l'une des principales figures de l'intelligentsia de gauche à partir de 1945 (Paris 1905 - id. 1980).

Sous le signe des « mots ».

• Vivant avec sa mère et ses grands-parents, Sartre, après de brillantes études secondaires, intègre la khâgne de Louis-le-Grand en 1922, publie sa première fiction à l'âge de 18 ans, puis entre à « Normale sup » en 1924. Il y côtoie Nizan, un ami d'enfance, Aron, Canguilhem, Merleau-Ponty : cette sociabilité ulmienne, anticonformiste et antiélitiste, fait son « bonheur ». Sartre se définit alors comme un « esthète d'opposition », apolitique. Le futur chantre de l'engagement intellectuel se passionne d'abord pour la littérature et la philosophie. Il préfère la position de Sirius : « Ni à droite, ni à gauche, mais en l'air », selon la formule qu'il appliquera à Albert Camus au lendemain de la guerre. Après l'agrégation en 1929 (premier rang), puis le service militaire (avec certificat de bonne conduite), il est nommé professeur de philosophie au Havre. Jeune homme tranquille, il tente vainement de faire publier son premier essai, au titre symbolique : Légende de la vérité. Il voyage, lit et travaille à la Nausée, affûte ses talents de conférencier. Fin 1933, il découvre la phénoménologie grâce à Raymond Aron, auquel il succède comme boursier de l'Institut français de Berlin. De cette découverte dépendent ses futures recherches ; mais dans le Berlin de 1933-1934, il observe toujours le monde avec l'œil de celui qui n'est pour rien ni pour personne.

Prise de conscience.

• De retour au Havre, Sartre assume mal le professorat. Il s'échappe par l'écriture, la recherche, vivant au rythme des premiers et rituels refus d'éditeurs (Jean Paulhan dédaigne Melancholia, qui deviendra la Nausée) et de son attention pour Simone de Beauvoir. En 1936, deux événements aiguillonnent sa conscience politique : le Front populaire et la guerre d'Espagne. Mais, quoique de gauche et se sentant antifasciste, Sartre demeure un scrutateur non engagé. Son horizon reste d'abord littéraire : Gallimard publie le Mur (1937), puis la Nausée (1938), qui obtient un grand succès.

Après la signature du pacte germano-soviétique, entre dégoût, peur et sens du devoir, Sartre accepte la mobilisation, convaincu que la guerre sera courte. Durant la « drôle de guerre », il écrit le canevas de l'Âge de raison, de l'Être et le Néant, et rédige des carnets. En mai 1940, Paul Nizan est tué. Sartre, qui vient d'obtenir le prix du Roman populiste pour le Mur, est douloureusement choqué par cette mort. Fait prisonnier en juin 1940, il est libéré en mars 1941 et participe à la création d'un éphémère réseau, « Socialisme et Liberté », parce qu'il faut préparer l'après-guerre, ne pas laisser les « jeunes » avec des « consciences malheureuses ».

Une fois cette parenthèse refermée, il revient à la littérature. En 1943, Charles Dullin monte les Mouches, Gallimard publie l'Être et le Néant, ouvrage philosophique ardu que Sartre conçoit comme un acte de résistance à la faillite de la démocratie et de la liberté. Le professeur de khâgne à Condorcet commence à être connu pour sa rigueur, mais également décrié. Électron libre, il ne respire qu'à travers les gageures. Certains de ses pairs, à l'intérieur et hors du Comité national des écrivains, le lui reprochent. Peu importe. Il collabore alors à Combat et aux Lettres françaises - double lien significatif : avec l'organe de la « résistance » libre qui doit mener à la « révolution » et avec le PCF.

De l'existentialisme au sartrisme.

• La guerre terminée, l'abondante publication de Sartre (1944-1945 : Huis clos, l'Âge de raison, le Sursis) propulse son nom à l'avant-scène intellectuelle. La vogue existentialiste bat son plein. Le 28 octobre 1945, il prononce sa célèbre conférence au Club Maintenant (« L'existentialisme est un humanisme »). La jeunesse intellectuelle parisienne, avide de prospective esthétique, morale et politique, s'y précipite. Promu héros de l'existentialisme, Sartre est encombré de sa gloire soudaine. « Il y a ce personnage, cet Autre qu'on trimballe tout le temps après soi... », écrira-t-il. Cassandre et directeur de conscience ? La position l'incommode, mais la notoriété et le débat le stimulent. Il se découvre une vocation missionnaire qui lui permet d'oublier l'enseignement et de donner la mesure de son talent, dans une époque dont beaucoup attendent de symboliques ruptures. De plus, le lancement réussi des Temps modernes (octobre 1945) donne une assise au « sartrisme », que confortent les parutions, en 1946-1947, de Morts sans sépulture, la Putain respectueuse, L'existentialisme est un humanisme, Qu'est-ce que la littérature ?. Les 6 000 exemplaires de la revue irriguent le paysage intellectuel parisien. Sartre, figure de l'effervescence germanopratine, devient un emblème - dont témoigne aujourd'hui encore la représentation fréquente de l'âge d'or des intellectuels par un cliché du couple Sartre-Beauvoir dans un café de la rive gauche. Au cœur du « village existentialiste », la revue tisse la toile d'un « pouvoir de résonance » (Jean-François Sirinelli) nourri par la politisation croissante de Sartre et par le contexte national et international, qui donne du grain à moudre à la nouvelle génération des tribuns et des moralistes : Bourdet, Camus, Mounier ... et Sartre, qui endosse le rôle titre du clerc engagé.