Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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féodalité (suite)

Cet affaiblissement, accru par l'insécurité que font peser sur la France de nouvelles vagues d'invasions (Hongrois à l'est, Sarrasins au sud, Normands le long des fleuves), conduit, au début du Xe siècle, à la formation des grandes principautés territoriales, moins difficiles à gérer et à protéger : les duchés (par exemple, Aquitaine, Bourgogne, Normandie, celle-ci étant concédée aux Vikings en 911 pour transformer, avec succès, ces pillards en sédentaires). La haute aristocratie locale est alors assez puissante pour imposer le principe de l'élection royale, qui supplante celui de l'hérédité de la couronne. Le principe monarchique n'est pas remis en cause, mais la fonction royale a davantage un caractère quasi religieux que politique. Comme tous les autres grands, le roi n'exerce directement son pouvoir politique réel que sur son propre domaine. En 987, les grands choisissent pour roi Hugues Capet, descendant d'une lignée illustre, mais qui est loin d'être le prince le plus puissant du royaume. Ce choix résulte peut-être de sa relative faiblesse.

De la vassalité à la féodalité ?

L'époque de la fin des Carolingiens et des débuts des Capétiens (fin IXe-début Xe siècle) voit une désagrégation du pouvoir central qui conduit à ce que l'on a souvent appelé la féodalité, voire l'anarchie féodale. Même si les Capétiens rétablissent la transmission héréditaire de la couronne, le renforcement des liens personnels, fondés sur la vassalité et le bénéfice, profite en effet aux vassaux, qui les utilisent à leur profit et tendent à se rendre indépendants. Le bénéfice (que l'on nommera « fief » à la fin du XIe siècle) n'est plus perçu comme la rémunération d'une fonction devenue héréditaire depuis le milieu du IXe siècle et impliquant des services, surtout militaires, mais bien comme la cause et la condition de la fidélité, symbolisée par l'hommage vassalique ; l'élément matériel (le bénéfice, le fief) l'emporte sur l'élément personnel (la vassalité, qui implique fidélité et subordination), non seulement en importance, mais dans la structure même de la pensée. En d'autres termes, un vassal ne reçoit plus un bénéfice parce qu'il est entré en dépendance en prêtant hommage et serment de fidélité à son seigneur ; par un renversement de l'ordre des termes, il prête hommage parce qu'il tient d'un seigneur un bénéfice désormais intégré dans le patrimoine familial. Cette conception mène à la pluralité des hommages, négation même de l'idée originelle de la vassalité. Un même homme peut alors devenir l'homme d'un seigneur pour un domaine que celui-ci lui a concédé et l'homme d'un autre seigneur (ou de plusieurs) pour d'autres domaines. Ainsi se forment des réseaux compliqués et enchevêtrés de subordinations théoriques qu'il est bien difficile de démêler, et qui permettent souvent aux vassaux de se soustraire à leurs obligations ou de choisir leurs engagements selon leurs propres intérêts, par exemple en cas de conflit entre deux de leurs seigneurs.

Cette multiplication des liens dits « féodaux » a longtemps fait croire que la France entière était alors enserrée dans ce type de rapports et que toutes les terres, ou presque, étaient soumises à ce régime féodal. On y voyait l'origine de l'adage « pas de seigneur sans terre, pas de terre sans seigneur ». C'est en vertu de ces liens dus à la féodalité que, pensait-on, les terres étaient passées aux mains des seigneurs « féodaux », qui maintenaient leurs tenanciers paysans (auxquels ils avaient à leur tour concédé une partie de leur domaine en tenures, moyennant redevances en espèce et en nature, taxes, corvées et droits divers) dans une soumission très rude, totalement arbitraire. Ce schéma trop radical doit être fortement nuancé.

Le temps des châtellenies

Il n'en reste pas moins vrai que les Xe et XIe siècles connaissent un nouvel émiettement de l'autorité publique ; les grandes principautés territoriales doivent à leur tour accorder une assez large autonomie à des circonscriptions plus petites, détenues par des « comtes d'un seul comté » puis, plus tard (XIe siècle), aux châtelains. Ces derniers sont d'abord des subordonnés que les grands investissent de la garde d'une ou plusieurs de leurs forteresses, signes et sièges de leur autorité et de la fonction « publique » qu'ils exercent. Au XIe siècle, véritable époque des châtellenies, les châtelains, ou sires, sont omniprésents. Ils s'entourent de guerriers, les milites (vassaux, au sens large du terme), entretenus au château, ou chasés, c'est-à-dire pourvus d'un revenu (terre, moulin, église, biens divers, voire rente) suffisant pour permettre d'acquérir et d'entretenir monture et équipement. Ainsi naît la chevalerie, qui marquera profondément de son empreinte la civilisation médiévale en Occident. On a longtemps considéré qu'à cette époque (XIe et XIIe siècles) s'était mise en place ce que l'on appelait la « féodalité classique », dans laquelle on voyait un système de gouvernement hiérarchisé, sorte de « pyramide féodale » aboutissant au roi. On sait maintenant que cette structure pyramidale est davantage une vue de l'esprit qu'une réalité.

De la féodalité à la monarchie absolue

En fait, l'essor des châtellenies entraîne, non pas une anarchie, mais une concentration des pouvoirs entre les mains des châtelains. Les rois capétiens Philippe Ier (1060/1108) et, surtout, Louis VI le Gros (1108/1137) luttent contre cette parcellisation de l'autorité publique. Ainsi, ils interviennent d'abord militairement, au nom de la justice et de la défense des églises (conformément au serment du sacre royal), contre les seigneurs plus ou moins pillards de leur propre domaine, puis du royaume. Ils utilisent ensuite à leur tour le « droit féodal » - qui, à l'instigation des juristes, s'élabore seulement à cette époque - pour en faire un instrument de gouvernement et pour justifier des interventions juridiques (saisine de fiefs de vassaux défaillants) ou militaires (conquêtes des fiefs de vassaux infidèles ou révoltés). Le roi apparaît alors comme un suzerain dans son royaume ; tous les grands féodaux sont ses vassaux pour les terres qu'ils y détiennent, lui-même n'étant le vassal de personne. C'est particulièrement le cas sous le règne de Philippe Auguste (1180/1223), et sous celui de Saint Louis (1226/1270), que l'on considère comme le type même du souverain « féodal » et qui passait en son temps pour incarner la justice selon ces normes. C'est au nom du droit féodal que les Capétiens entreprennent la lutte contre l'empire des Plantagenêts et que Saint Louis conclut en 1259 le traité de Paris qui replace le Plantagenêt dans la vassalité du roi de France pour le fief que le roi d'Angleterre possède encore dans le royaume de France (Aquitaine). Avec Philippe le Bel (1285/1314), qui s'appuie sur ses légistes et sur les bourgeois pour brider l'aristocratie laïque ou ecclésiastique, l'autorité monarchique progresse davantage. La noblesse se réfugie alors dans une certaine nostalgie des temps passés en cultivant les valeurs, probablement désuètes, de la chevalerie, ainsi qu'en témoignent le succès des romans de chevalerie et la création des ordres de chevalerie. La guerre de Cent Ans est l'occasion de mutations sociales et politiques importantes, accentuant le déclin de l'indépendance de la noblesse et favorisant la montée du pouvoir monarchique centralisé, sous le règne de Charles V (1364/1380) - grâce, notamment, à la formation d'une armée permanente - et, plus encore, sous celui de Louis XI (1461/1483), roi bourgeois, « ennemi de tous grands qui se pouvaient passer de lui » (Philippe de Commynes). Cette évolution se poursuit et aboutit au centralisme de la monarchie absolue sous le règne de Louis XIV (1643/1715) qui, par les pensions honorifiques et la vie de cour, parvient, malgré la Fronde, à domestiquer « sa » noblesse. La Révolution est d'ailleurs initiée par une réaction de la noblesse, désireuse de réaffirmer et d'affermir les droits et privilèges anciens érodés par le pouvoir monarchique. Entre-temps, cependant, grâce à l'idéologie issue de ces « temps féodaux », s'était constituée la structure juridique fondamentale et permanente de la société d'Ancien Régime, fondée sur la distinction des trois ordres - clergé, noblesse et tiers état ; une structure née de ce que Georges Duby a appelé fort justement « l'imaginaire du féodalisme » et qui, d'autorité divine, attribuait aux hommes de cette société trois fonctions distinctes : prier, combattre, travailler.