Une société est qualifiée d'« historique » lorsqu'elle laisse des documents écrits ; elle est dite « préhistorique » quand elle en est dépourvue.
Mais le passage d'un état à l'autre n'est pas instantané. On appelle donc souvent « protohistorique » une société où l'écriture commence à être en usage sans constituer pour autant une véritable aide pour l'historien, ou encore une société sur laquelle nous disposons de témoignages dus aux historiens ou voyageurs appartenant à des sociétés « historiques » contemporaines. En France, le terme de « protohistoire » n'a pas d'acception déterminée, et l'on considérera comme « protohistoriques » soit les seules sociétés de l'âge du fer, soit également celles de l'âge du bronze, voire les sociétés néolithiques et chalcolithiques. C'est cette dernière définition qui est retenue ici, dans la mesure où la principale rupture concerne le passage entre les sociétés simples de chasseurs-cueilleurs du paléolithique et du mésolithique, et celles des agriculteurs, qui ne cesseront de se complexifier.
Gaulois et Français
La protohistoire, comme la préhistoire, désigne à la fois une période et la discipline qui l'étudie, et elle se trouve recourir, de fait, aux méthodes de la préhistoire et à celles de l'histoire, la part de la première décroissant en faveur de la seconde, au fil du temps. Elle emprunte également à l'ethnologie l'observation de sociétés traditionnelles vivantes permettant d'enrichir le jeu des hypothèses et des raisonnements. C'est une discipline « sensible », car elle étudie l'émergence des « peuples » constitutifs des nations modernes, ou du moins de la représentation qu'ont ces nations de leurs propres origines.
De fait, nos connaissances sur la protohistoire se sont longtemps limitées aux Gaulois, et plus précisément à ce qu'en avaient écrit les historiens grecs ou romains qui les présentaient comme des « barbares », vaincus puis romanisés : ce n'est guère en eux que les élites humanistes se sont cherché des ancêtres. Il faut attendre l'émergence de l'idée nationale, avec la Révolution puis le romantisme, pour voir apparaître un intérêt, toujours livresque, pour les Gaulois, qui tourne rapidement à la « celtomanie » : ce peuple est paré de sagesses mystérieuses, et le savoir disparu de ses druides est élevé au rang d'un mythe. Les monuments archéologiques connus sont réinterprétés et les dolmens, ces chambres funéraires du IVe millénaire, deviennent ainsi des « tables à sacrifice » destinées à des rituels sanglants.
Le développement des fouilles archéologiques, à partir du milieu du XIXe siècle, réduit à néant ces fantaisies, du moins dans les spéculations érudites. Cependant, l'État français étant constitué de longue date, il ne lui est guère nécessaire de solliciter les archéologues dans la construction de l'imaginaire national - au contraire de nombreux autres pays européens, telle l'Allemagne, en particulier. C'est pourquoi l'archéologie protohistorique tarde à se professionnaliser. Napoléon III essaie bien d'asseoir son pouvoir sur une idéologie nationale et populaire : il fait fouiller Alésia et fonde le Musée des antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye. Mais cette institution reste significativement exilée dans une banlieue lointaine, même si, grâce aux conservateurs Alexandre Bertrand et Gabriel de Mortillet, puis au fils de ce dernier, Adrien, elle constituera l'un des rares points d'appui scientifiques de la discipline.
Une science d'« amateurs »
Comme la préhistoire, la protohistoire reste pour l'essentiel, et jusqu'au milieu du XXe siècle, une affaire de notables locaux, pratiquant l'archéologie en amateurs éclairés - les archéologues professionnels, ceux de l'Université, travaillant en Grèce, en Italie ou en Orient. Les résultats des fouilles protohistoriques restent cependant plus modestes que ceux de la préhistoire, à laquelle les noms de sites français servent d'étalons - nouvelle illustration de la « mission » universaliste de la France. En outre, ces fouilles se limitent aux sites visibles : monuments mégalithiques, tumulus des âges des métaux, vestiges de cités lacustres.
Aussi est-ce un archéologue amateur, Joseph Déchelette, industriel du textile, qui publie juste avant la Première Guerre mondiale un grand Manuel d'archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine, ouvrage demeuré sans équivalent. La mort de Déchelette, et de bien d'autres archéologues, dans les tranchées, interrompt l'essor d'une discipline à peine naissante en France, alors qu'elle est déjà solidement implantée dans les universités et les musées des autres pays européens. Ce sont des savants allemands, anglais ou espagnols qui, dans l'entre-deux-guerres, mettent en ordre les matériaux français, la première grande synthèse sur le néolithique à l'échelle de l'Europe étant celle de l'archéologue marxiste australien Gordon Childe. C'est lui qui met l'accent sur le rôle « historique » de la « révolution néolithique », avec l'apparition de l'agriculture et d'une économie de production. Il faut attendre 1943 pour voir se créer la première chaire d'antiquités nationales dans une université française - mais sous l'occupation allemande, à Strasbourg !