lettre close par le cachet personnel du roi, destinée à transmettre un ordre ponctuel à un officier ou à un corps chargé de l'exécuter.
Les lettres de cachet entrent dans le cadre de la « justice retenue » (rendue directement par le roi, distincte de la « justice déléguée »). En effet, contrairement aux autres actes exprimant la volonté royale (lettres patentes), leur expédition échappe au contrôle de la chancellerie, puisqu'elles ne portent pas le sceau de l'État, et leur enregistrement à celui des parlements.
Apparaissant, semble-t-il, au milieu du XVIe siècle, leur usage, d'abord exceptionnel, s'amplifie, parallèlement au développement de l'absolutisme royal. Alors qu'elles sont utilisées à de multiples fins et dans des domaines très variés de l'exercice du pouvoir, la mémoire collective, nourrie des indignations révolutionnaires, ne retient que leur utilisation à des fins répressives. Manifestation des prérogatives judiciaires du monarque, elles sont en effet souvent porteuses d'ordres d'incarcération, prononcés sans aucune forme de procès.
Un usage répressif croissant.
• Au XVIIe siècle, elles sont surtout employées pour museler les oppositions politiques et pour régler les affaires d'État : elles frappent d'abord de hauts dignitaires (Condé en 1650, Fouquet en 1661), puis des opposants de moindre envergure (protestants ou jansénistes poursuivis pour leur dissidence religieuse, libellistes, etc.). À l'orée du XVIIIe siècle, leur usage se banalise sous l'effet conjugué de deux demandes de répression : l'une institutionnelle, et l'autre familiale.
La première émane des intendances et des lieutenances de police nouvellement créées ; le recours massif aux incarcérations administratives reste cependant une spécificité de la généralité de Paris, pour laquelle on en a estimé le nombre à plus de 60 000 au XVIIIe siècle, chiffre sans doute sous-évalué : sont surtout concernés les délinquants de droit commun, que l'on juge préférable de punir sans publicité (déviants sexuels), ou que la justice ne parvient pas à condamner en raison de l'inefficacité de la procédure criminelle (délinquants professionnels). Les lettres de cachet entraînent ainsi l'instauration, surtout dans la capitale, d'une instance policière de contrôle social qui prend le pas sur la justice en assurant une répression expéditive de la criminalité.
Par ailleurs, la monarchie doit aussi répondre à une demande émanant de familles de tous milieux sociaux. Celles-ci sollicitent des lettres de cachet contre les « fils libertins », les « épouses aux mœurs dissolues », les « maris infidèles » ou « violents », ou plus simplement contre les « aliénés », qu'elles peuvent ainsi faire enfermer dans des maisons de force avant que leurs débordements ne les conduisent devant les tribunaux et ne ternissent l'honneur familial. D'ampleur plus modeste, cette demande familiale connaît cependant une croissance constante pendant les trois premiers quarts du XVIIIe siècle.
Un usage dénoncé comme un abus.
• Si, à l'origine, la délivrance des lettres de cachet relève du roi lui-même, sa banalisation impose une cascade de délégations successives. Au cours du XVIIe siècle, elle est d'abord confiée aux ministres, qui statuent après examen de dossiers écrits (rapports de police pour les délinquants, enquêtes de vérification pour les demandes d'origine familiale). Cependant, au XVIIIe siècle, et particulièrement sous le règne de Louis XV - apogée de l'usage de la lettre de cachet -, cette procédure administrative devient de plus en plus expéditive, favorisant ainsi les initiatives d'agents subalternes. La multiplication des incarcérations et quelques abus rendus publics sensibilisent l'opinion sur le caractère arbitraire de ces arrestations. On accuse alors la monarchie de se prêter à un emploi détourné de l'autorité royale, et de frapper ainsi d'innocentes victimes de la tyrannie paternelle ou de vengeances privées. Relayées par les Cours souveraines, qui adressent au roi de multiples remontrances à ce sujet, et par des pamphlétaires acquis aux idées révolutionnaires (Mirabeau et Linguet), la critique contre les lettres de cachet, devenues le symbole d'un absolutisme désormais intolérable, ne cesse de s'amplifier jusqu'en 1789. Par deux fois, la monarchie tente, sans grand succès, d'empêcher les abus (réforme de Malesherbes en 1776 et circulaire de Breteuil en 1783) ; cependant, elle ne se résout jamais à renoncer à cet outil aux multiples emplois, clé de voûte d'un système répressif dont la composante judiciaire ne parvient plus à satisfaire ses exigences d'ordre et de sécurité. Ce n'est qu'en 1790 que la Constituante abolit les lettres de cachet, non sans prévoir des modalités de « reconversion » pénales, qui permettent de maintenir en détention bon nombre de ceux que l'Ancien Régime y avait placés.