L'historiographie du règne de Louis XI (1461/1483) s'est longtemps réduite à une suite d'images convenues, où la fascination le disputait à la répulsion : de l'empoisonnement supposé de son père Charles VII à l'enfermement de ses ennemis dans des cages d'acier - les célèbres « fillettes » -, de son autoritarisme sans scrupules à ses tactiques et machinations, tous les éléments d'une mythologie noire n'étaient-ils pas réunis ?
Au rebours des clichés tenaces qui font de Louis XI l'ultime représentant d'un Moyen Âge ténébreux, les historiens mettent aujourd'hui l'accent sur la modernité de son règne. L'énergie multiforme de ce souverain avide de transformations s'est déployée dans tous les domaines : sous son impulsion, la France est sortie définitivement de la guerre de Cent Ans, l'appareil désuet de la monarchie s'est rationalisé, et le royaume a retrouvé une assise sociale et économique qu'il avait perdue depuis longtemps.
Un dauphin rebelle
Fils de Charles VII et de Marie d'Anjou, Louis naît en 1423 dans l'atmosphère sombre de ce qu'on nomme alors le « royaume de Bourges » : dépossédé d'une moitié de son territoire par l'adversaire anglo-bourguignon, le roi, réfugié au sud de la Loire, ne parvient pas à organiser la riposte militaire qui imposerait sa légitimité ; dans la petite cour itinérante où le futur Louis XI voit le jour, les clans se disputent les faveurs d'un monarque velléitaire. Il est probable que ce spectacle d'une autorité royale doublement ébranlée ait inspiré au dauphin le désir d'y prendre sa part : jusqu'à la mort de Charles VII, sa conduite politique sera marquée au sceau de l'impatience et de l'insoumission ; assoiffé de pouvoir, il saisira toutes les occasions de contrecarrer les desseins de son père. Marié en 1436 à Marguerite d'Écosse, il est chargé, trois ans plus tard, de mettre le Languedoc en état de défense, puis de rétablir l'ordre dans le Poitou. En 1440, il s'associe au soulèvement des grands seigneurs, résolus à défendre leurs prérogatives contre les empiètements de l'administration royale : les conjurés entendent destituer le roi et confier la régence à son fils. Nommé « Praguerie » par allusion aux révoltes des hussites de Bohême, le mouvement est neutralisé par Charles VII, qui accorde habilement concessions et subventions. Louis fait vœu de soumission et obtient le pardon paternel. Afin de l'adoucir et de donner un exutoire à son ambition effrénée, Charles VII lui confie le gouvernement du Dauphiné. Investi de plusieurs missions de confiance, diplomatiques et militaires, Louis ne se résigne pas pour autant à la docilité : il continue d'intriguer, s'opposant aux favoris qui se succèdent à la cour - René d'Anjou, Jean de Calabre, Agnès Sorel. C'est vraisemblablement sous l'influence de cette dernière qu'en 1447 il est relégué dans son fief du Dauphiné. Mesure d'exil toute relative, qui lui permet de s'initier à l'art du gouvernement tout en disposant d'un champ de manœuvre politique et diplomatique. Premier dauphin à résider dans cette province, il y imprime d'emblée la marque de son administration : un parlement est institué à Grenoble, une université voit le jour à Valence, tandis que la population est accablée d'impôts destinés à payer l'entretien des troupes. Veuf depuis 1444, Louis passe outre à l'opposition paternelle et se remarie en 1451 avec la fille du duc Louis de Savoie, Charlotte. Les alliances qu'il noue avec les princes et les grands - ducs de Bourgogne et d'Alençon, comte d'Armagnac - attestent la volonté de conduire sa propre politique, indifférente aux intérêts du roi. Charles VII ne peut tolérer cette transformation d'un fief en État souverain, et intervient militairement contre son fils. La menace contraint ce dernier à quitter secrètement le Dauphiné à la fin du mois d'août 1456. Réfugié à Genappe, dans le Brabant, auprès du duc de Bourgogne Philippe le Bon, il reçoit de ce dernier une pension annuelle. Situation qui inspire à Charles VII ce commentaire malicieux et prémonitoire : « Monseigneur de Bourgogne reçoit en sa maison un renard qui lui mangera ses poules. » Le duc s'entremet vainement auprès du roi pour faire rentrer en grâce le dauphin. Mais Louis ne désire pas retourner à la cour, où il sait que ses ennemis sont nombreux : le roi, sous l'influence de ses favoris, n'a-t-il pas envisagé de le faire déshériter au profit de son fils cadet Charles, duc de Berry ? D'après les chroniqueurs, Louis ne cherche nullement à feindre le chagrin lorsqu'il apprend la mort de son père, le 22 juillet 1461. Ironie du sort, ce dauphin avide de gouverner a dû attendre l'âge - inhabituel - de 38 ans pour accéder enfin au trône.