Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Quatorze Juillet

Le 14 juillet 1789, la Bastille est prise ; en 1880, la France républicaine adopte la date du 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle.

Depuis lors, les célébrations s'égrènent, de démonstrations militantes en festivités ritualisées. C'est que, dès 1789, l'imaginaire collectif charge l'événement fondateur d'une signification politique qui le dépasse. Un mythe est né, composite. Au gré de l'Histoire, il commande des comportements antagonistes et demeure l'objet de controverses.

De la prise de la Bastille à l'institution de la fête nationale

Deux mois après la réunion des États généraux à Versailles, le petit peuple de Paris, déjà éprouvé par le chômage et par la flambée des prix, craint désormais un « complot aristocratique ». Louis XVI n'a-t-il pas concentré des troupes aux portes de la ville ? Au matin du 14 juillet 1789, artisans, boutiquiers et ouvriers du faubourg Saint-Antoine, en quête d'armes, marchent sur la Bastille, qui domine leur quartier. À la suite de malentendus entre le gouverneur de la forteresse, de Launey, et les assaillants, des coups de feu sont tirés sur la foule, provoquant sa fureur. Bientôt grossie de gardes-françaises, celle-ci s'empare alors de la prison d'État. Le soir, des cortèges accompagnent triomphalement les prisonniers libérés et brandissent la tête de de Launey au bout d'une pique. Le lendemain, le roi renvoie les troupes et, le 17, à l'Hôtel de Ville, il accepte d'arborer la cocarde tricolore, entérinant la victoire populaire. Dès lors, celle-ci reçoit un surcroît de sens, car la Bastille n'était pas une prison ordinaire mais bien un symbole de l'arbitraire royal. Depuis Louis XIII, en effet, y étaient incarcérées des personnes arrêtées sur ordre du roi, par lettres de cachet. Aussi sa prise signifie-t-elle, pour les révolutionnaires, le triomphe de la liberté et de la justice, le début de la fin de l'Ancien Régime. Dans les jours qui suivent, citadins et ruraux s'emparent, à leur tour, de « bastilles », forts ou châteaux seigneuriaux : l'acte fondateur de la liberté devient aussi fédérateur de la nation.

Célébrations et interdit.

• Les constituants ont retenu l'anniversaire de la prise de la Bastille pour célébrer la fête de la Fédération, en 1790 : c'est au Champ-de-Mars, autour de l'autel de la Patrie, en présence du roi, des fédérés venus en délégation des diverses provinces et de quelque 300 000 Parisiens, que La Fayette prête, au nom de tous, le serment « qui unit les Français entre eux et les Français à leur roi pour défendre la liberté, la Constitution et la loi ». Le soir, partout en France, on danse et on chante. Et, depuis lors, la mémoire populaire véhicule deux images du 14 Juillet, l'une symbole de liberté, l'autre d'union nationale.

La commémoration du 14 Juillet rythme ensuite l'époque révolutionnaire. Mais elle est concurrencée, dans le calendrier liturgique de la Révolution, par d'autres célébrations nationales, avant d'être supprimée sous l'Empire, en 1804. Elle reste frappée d'interdit sous la Restauration, la monarchie de Juillet, le Second Empire, et même au début de la IIIe République, au temps de l'Ordre moral. Pourtant, le souvenir du 14 Juillet demeure vivant, comme en témoignent des poètes tels Béranger, en 1827, et Victor Hugo, en 1859, qui exaltent l'épopée de 1789. La police s'effraie des hommes « aux faces sinistres, cheveux longs et en blouse » qui forment des cortèges le 14 Juillet ; à partir de 1840, des opposants radicaux prennent l'habitude de se réunir à cette date en banquets protestataires. Ainsi, la commémoration du 14 Juillet, qui revêt une valeur quasi subversive, appartient-elle désormais au patrimoine démocratique.

Adoption de la fête nationale.

• Il faut attendre la loi du 6 juillet 1880 pour que « la République adopte la date du 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle ». La décision s'inscrit dans un ensemble d'initiatives symboliques prises par les républicains : le retour des Chambres à Paris, la Marseillaise élevée au rang d'hymne national. Au vrai, le choix de la date a donné lieu à débat. Le 4 septembre (1870), jour de la proclamation de la IIIe République, est occulté, car il évoque aussi la défaite face à la Prusse. En revanche, plusieurs autres dates sont avancées, ayant chacune de nombreux défenseurs : le 22 septembre (fondation de la Ire République, en 1792) ; le 4 mai, jour de la première réunion des états généraux de 1789, et de la ratification de la République, en 1848 ; et, surtout, le 4 août (1789), nuit de l'abolition des privilèges. Mais ces propositions sont écartées car les événements rappellent par trop l'existence de massacres, l'échec des républicains (l'éphémère IIe République avait retenu le 4 mai comme fête nationale), ou encore la permanence des divisions sociales malgré l'abolition des ordres. Quant au choix finalement arrêté, il est contesté par les réactionnaires et les militants de l'extrême gauche. Pour les premiers, en effet, la prise de la Bastille est synonyme d'émeute, de trahison des troupes ; en institutionnaliser la célébration revient à réhabiliter l'insurrection - la Commune de 1871, si présente dans les mémoires - et laisse présager le « carnaval des rouges » (l'Univers, 1880). Pour les seconds, la victoire populaire de 1789 a été récupérée par la bourgeoisie, et le peuple, floué. Parmi les partisans du 14 juillet, il y a les républicains modérés, qui se réfèrent plutôt à la fête de 1790 et à ses vertus de réconciliation : sa célébration peut exorciser le 18 mars communard et clore la Révolution. Quant aux républicains de gauche, conscients que le mythe de la « Bastille » est plus évocateur de liberté que d'égalité sociale, ils n'en considèrent pas moins que la République est une promesse de disparition progressive de toutes les bastilles. Les fondateurs de la IIIe République croient donc à « l'usage politique » de la fête nationale, qui légitime le régime, résonne comme un défi aux royalistes et aux bonapartistes, et a une fonction sacralisante. Se disant « fils de la Révolution », ils prônent un retour aux origines et misent sur la valeur duelle du mythe, encore que les amis de Gambetta écrivent en référence à 1789 : « Tout date pour nous de cette grande journée. »