République (Ve). (suite)
Cette décision intervient au début de son second mandat présidentiel. Pendant longtemps, le public n'a pas su si de Gaulle serait candidat à l'élection présidentielle. Jusqu'au 4 novembre 1965, à un mois du premier tour, il a laissé planer le doute sur ses intentions. En revanche, les partis de l'ancien « cartel des non » ont tenté de s'organiser longtemps à l'avance, pour aborder l'échéance électorale en position de force. Cette préparation n'est-elle pas, en définitive, une preuve supplémentaire de l'enracinement précoce des institutions de la Ve République ?
Au sein de l'opposition, la SFIO occupe une position centrale : elle peut choisir de s'allier avec les centristes ou avec les communistes. Or, les deux formules ont prévalu, successivement. De 1963 à juin 1965, le socialiste Gaston Defferre, soutenu par l'hebdomadaire l'Express, cherche à promouvoir une coalition regroupant, sous le nom de « Grande Fédération », la SFIO, les radicaux et le MRP. Mais, après deux ans de négociations, la tentative fait long feu, faute d'accord entre la SFIO et le MRP sur des points essentiels. À six mois de l'échéance présidentielle, l'opposition au général de Gaulle se retrouve donc sans véritable projet alternatif. C'est alors que François Mitterrand entre en scène. L'homme a été plusieurs fois ministre sous la IVe République et s'est opposé dès 1958 aux institutions de la Ve - qualifiées par lui, en 1964, de « coup d'État permanent ». Avec beaucoup d'habileté, il profite de ce vide politique et, s'étant déclaré candidat le 9 septembre, il parvient en quelques jours à être soutenu à la fois par la SFIO, à laquelle il n'appartient pas, et par les communistes, desquels il avait été jusque-là fort éloigné. Si l'on ajoute les radicaux qui se rallient également à sa candidature, c'est toute la gauche que François Mitterrand parvient à réunir sous son nom. Cet opposant de la première heure à la Ve République comprend que l'élection du président de la République au suffrage universel, contre laquelle il s'est d'abord élevé, a créé des mécanismes nouveaux d'accès au pouvoir. Sa démarche est aussi le reflet d'une mue en train de s'opérer - la bipolarisation de la vie politique -, qui va marquer durablement la Ve République.
Certes, le général de Gaulle ne doit pas sa mise en ballottage du 5 décembre 1965 (44,65 % des suffrages exprimés) au seul François Mitterrand (31,72 %) : le score de Jean Lecanuet (15,57 %) y est également pour beaucoup, et témoigne de la force relativement importante du centre d'opposition à cette date. Il n'empêche, un processus de perte d'autorité du président fondateur s'est enclenché, que les bons résultats de François Mitterrand au second tour (44,8 %) vont, du reste, accélérer.
Le ballottage, aujourd'hui considéré comme un phénomène banal, est interprété à l'époque, y compris par le principal intéressé, comme un demi-échec. De plus, le chef de l'État a alors 75 ans : l'âge, désormais, ne peut que jouer contre lui. Surtout, au cours des années suivantes, la progression de l'opposition érode les positions des gaullistes. Alors qu'en 1965 de Gaulle a encore pu réunir sur son nom plusieurs millions de voix venues de gauche, la base électorale du parti présidentiel semble se rétracter dès les élections législatives de mars 1967. La gauche, encouragée par les résultats de François Mitterrand en 1965 et renforcée par un accord de désistement conclu l'année suivante, obtient près de 200 députés. Si l'on ajoute 41 élus parmi les centristes d'opposition, la majorité sortante l'emporte d'extrême justesse : au soir du second tour, les gaullistes et leurs alliés (les Républicains indépendants, appartenant au parti fondé en 1966 par Valéry Giscard d'Estaing) ne conservent la majorité absolue que d'un siège : 244 sur 487. Certes, le ralliement, au cours des jours suivants, de quelques non-inscrits étoffe un peu la marge de manœuvre du gouvernement de Georges Pompidou - qui avait été reconduit dans ses fonctions après la réélection de Charles de Gaulle. Mais l'avertissement a été clair. Nul ne conteste plus la légitimité du chef de l'État, réactivée par l'onction populaire de décembre 1965, mais les temps héroïques sont terminés : l'opposition se renforce et le général de Gaulle a 77 ans. Cela étant, si ces symptômes peuvent être interprétés comme ceux d'un essoufflement, un diagnostic exactement inverse peut aussi être avancé : la France est sortie de sa période de crise, un jeu démocratique apaisé s'est mis en place, le président est alors l'un des chefs d'État de stature internationale.
Peu importe, au fond, l'hypothèse retenue. Car ces deux diagnostics sont les reflets opposés d'une même réalité, celle d'une France qui a retrouvé une stabilité politique mais qui est emportée, dans le même temps, par la mutation sociologique la plus rapide de son histoire. Cela conduit à une situation quelque peu paradoxale : les institutions, au bout de dix ans, ont fait leurs preuves et ont trouvé leur assise, mais simultanément, elles vont être remises en cause, comme symbole d'une France vieillie, par une contestation multiforme.
Mai 68.
• À la différence de ce qui se passe, la même année, dans d'autres pays de l'Occident industrialisé, les événements de mai 68 paraissent déboucher en France sur une crise de régime. Les débuts peuvent pourtant sembler relativement banals - à l'échelle de l'Histoire -, et en rien spécifiques à la France. La crise, en effet, est d'abord universitaire. Le 3 mai, le milieu étudiant parisien, qui connaît depuis plusieurs mois déjà une agitation endémique, entre en effervescence. Parcouru par des idéologies d'extrême gauche qui contestent la société capitaliste, fragilisé par une augmentation très rapide de ses effectifs - multipliés par trois depuis le début des années 1960 -, inquiet du manque de débouchés dans les filières des sciences humaines et sociales, ce milieu étudiant se heurte à la police après la fermeture de la faculté de Nanterre. La rudesse des premiers affrontements - qui débouchent sur l'érection de barricades au Quartier latin - joue le rôle de catalyseur. En quelques jours, le mouvement gagne la province. À l'image de la Sorbonne, nombre d'établissements universitaires sont occupés par leurs étudiants.