Panthéon, (suite)
La nouvelle église est dessinée par Jacques-Germain Soufflot, l'un des architectes les plus novateurs du temps, qui projette d'ériger une basilique gigantesque en forme de croix grecque, dotée d'une vaste crypte, destinée à abriter les tombeaux des chanoines, et d'un dôme inspiré de celui de Saint-Pierre de Rome. Fidèle au style néoclassique du XVIIIe siècle et désireux d'imiter l'architecture des temples grecs, Soufflot prévoit également des colonnes corinthiennes surmontées d'un fronton triangulaire. L'édifice est censé proclamer la gloire de la religion chrétienne et célébrer la monarchie française, protectrice de la patrie. Dès le milieu des années 1780, il est nommé « Temple de la nation ». Cette dimension nationale, présente dès les origines, explique sa rapide transformation en temple laïque pendant la Révolution. Après la mort de Mirabeau, en avril 1791, l'église, qui n'a jamais été consacrée, devient, par décret de l'Assemblée constituante, le « Temple de la patrie ». Destiné à accueillir les corps des grands hommes, celui-ci est doté de l'inscription devenue fameuse : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». La figure du grand homme, mise à l'honneur par les Lumières, renvoie à un nouveau type de héros « intellectuel » - savant ou philosophe - qui a mis ses talents au service de l'humanité.
Le nouvel édifice, baptisé « Panthéon » en référence au temple romain, permet aux révolutionnaires d'offrir au peuple une vision unifiée de l'héritage culturel national. En faisant entrer les dépouilles des grands hommes dans ce majestueux monument, la patrie assure leur intégration à la mémoire collective et leur exprime sa gratitude. Mais, par-dessus tout, le Panthéon possède une fonction pédagogique : les citoyens sont incités à pratiquer les valeurs civiques incarnées par ces personnages illustres et à communier dans le culte des nouveaux héros républicains. À cet effet, le monument doit subir une métamorphose qui efface son identité religieuse et mette en lumière sa nouvelle fonction civique : le fronton est orné d'un relief allégorique du sculpteur Jean-Guillaume Moitte, qui montre la Patrie entourée de la Vertu, de la Liberté et du Génie ; quant à l'intérieur de l'édifice, il est vidé de tout objet ou image chrétien. Mais ce sont surtout les cérémonies funèbres, au cours desquelles les dépouilles des grands hommes sont transférées dans la crypte, qui consacrent l'identité nouvelle du monument. Mirabeau est le premier à y entrer, au cours d'une cérémonie impressionnante qui bénéficie de la participation de l'Église. Les autres « panthéonisations » de la décennie révolutionnaire sont aussi de grandioses célébrations civiques néoclassiques, mais dont l'Église est exclue, marquant ainsi le nouveau temple au sceau de la Révolution et de l'anticléricalisme. Toutes les cérémonies ne se déroulent pas dans la même atmosphère. Tandis que celles qui célèbrent les philosophes prérévolutionnaires - Voltaire (juillet 1791), Rousseau (octobre 1794) - sont calmes et sobres, celles des « martyrs de la Liberté » - Le Peletier de Saint-Fargeau (janvier 1793), Jean-Paul Marat (juillet 1793) - ont lieu dans un climat de fièvre et de provocation. En outre, alors que les corps de Voltaire et de Rousseau restent au Panthéon, ceux des chefs révolutionnaires en sont retirés pendant la Terreur et le Directoire. Au lieu de transcender les clivages politiques, le nouveau monument patriotique accentue les divisions entre la République et l'Église, et à l'intérieur même du camp révolutionnaire. Il n'en reste pas moins un symbole révolutionnaire important, comme en témoigne son destin tumultueux au cours du XIXe siècle.
Du Premier Empire aux débuts de la III• e République.
Pendant cette période, chaque changement de régime entraîne un changement de statut du Panthéon. Ces vicissitudes témoignent de la place centrale qu'occupe l'édifice dans l'imaginaire politique de la nation, ainsi que des rapports éminemment divers qu'entretiennent les gouvernements successifs avec les valeurs de la Révolution.
L'attitude de Napoléon est ambiguë : s'il rend le Panthéon à l'Église (février 1806) et en fait masquer le fronton « républicain », il continue à faire servir l'édifice de lieu de sépulture aux hommes tenus par lui en haute estime. Dignitaires de l'État et serviteurs zélés de l'Empire - sénateurs, ministres et cardinaux (soit 49 personnes) - succèdent ainsi aux héros des Lumières et de la Révolution.
Sous la Restauration, la politique menée envers le temple révolutionnaire apparaît plus cohérente. Le Panthéon est totalement restitué à l'Église, et même cédé à l'ordre des Missionnaires français le 21 janvier 1822, jour anniversaire de l'exécution de Louis XVI. Le relief révolutionnaire de Moitte et l'inscription sont enlevés, la coutume d'enterrer un grand homme ou un dignitaire dans la crypte est abandonnée.
La révolution de Juillet, qui place sur le trône un « roi-citoyen », Louis-Philippe d'Orléans, entraîne une nouvelle modification du statut de l'édifice. Le roi retire le monument à l'Église et le convertit en un « Temple des grands hommes » (26 août 1830). L'inscription révolutionnaire originelle est restaurée, et l'on passe commande au sculpteur David d'Angers d'un nouveau relief allégorique pour le fronton, qui met en scène la Patrie, l'Histoire, la Liberté, ainsi que de grandes figures telles que Rousseau, Voltaire et Mirabeau. Cependant, à mesure que le régime devient plus autoritaire, l'enthousiasme qu'il a pu manifester à l'égard du monument faiblit. Tandis que l'opposition républicaine fait quelques vaines tentatives pour y transférer ses chefs décédés, la crypte est fermée au public, et l'inauguration du relief de David d'Angers se déroule très discrètement, après plusieurs ajournements, en septembre 1837. Aucun grand homme n'est enterré au Panthéon durant cette période.
Sous la IIe République, le monument républicain et patriotique acquiert une signification plus large et supranationale, et est rebaptisé « Temple de l'humanité ». On commande au peintre Paul Chenavard une série de fresques retraçant l'histoire du genre humain depuis les temps bibliques jusqu'à Napoléon. Mais le coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, empêche la réalisation de cet ambitieux programme. Quatre jours plus tard, le Panthéon est rendu à l'Église. Le culte de Sainte-Geneviève remplace celui des grands hommes lorsque les reliques de la patronne de Paris y sont déposées au cours d'une cérémonie de consécration, le 3 janvier 1853.