Catherine de Médicis, (suite)
Entre Rome, Florence et la cour de France
• . Toute jeune, l'orpheline est un enjeu capital dans le rapport des forces de l'Italie de la Renaissance. Son enfance se déroule au Vatican, sous la protection pontificale, puis, à partir de 1527, dans plusieurs couvents d'une Florence contrôlée par la faction opposée aux Médicis. Le pape Clément VII la ramène à Rome en octobre 1530 et, dans le cadre de négociations qui marquent une victoire de la diplomatie française face à Charles Quint, il décide de son mariage avec le deuxième fils de François Ier, Henri d'Orléans, constituant une dot de 100 000 écus conditionnée à sa renonciation à ses droits sur les biens patrimoniaux des Médicis. C'est à Marseille que le mariage est célébré les 27 et 28 octobre 1533, au cours d'une rencontre entre le roi de France et le pape.
La vie qui débute alors pour Catherine de Médicis est à la fois valorisante et difficile ; mais l'idée, longtemps admise, de son effacement, obligé ou tactique, doit être relativisée. Catherine se distingue d'abord par sa culture humaniste et par son engagement dans les jeux intellectuels de la cour de France. L'ambassadeur vénitien écrit à son propos que « sa Majesté François Ier l'aime aussi, et elle est tellement aimée de toute la cour et de tous les peuples ». Cependant, dès 1536-1537, Henri d'Orléans, devenu l'héritier de la couronne, la délaisse pour Diane de Poitiers, veuve du sire de Brézé. Il faut attendre le 19 janvier 1544 pour que Catherine donne naissance à un fils ; suivront dix autres naissances dans les douze années ultérieures. La mort de François Ier en mars 1547 la fait reine de France, mais ne la maintient pas moins dans une situation ambiguë : si elle doit accepter une forme de cohabitation, voire de connivence, avec la maîtresse d'Henri II, toute-puissante à la cour et au Conseil, elle n'en participe pas moins à certaines décisions ou orientations diplomatico-militaires concernant l'Italie, regroupant autour d'elle une petite société d'Italiens, tels les Gondi ou les Strozzi. Il faut insister sur le rôle de premier plan qui lui est dévolu dans le système politique dès avant 1559 : non seulement le roi place temporairement le Conseil sous son autorité à partir de 1548, mais il lui confie la régence à trois reprises (en 1552, 1553 et 1554).
À partir de 1552, Catherine de Médicis s'efforce d'infléchir la politique française dans le sens d'un interventionnisme dirigé vers le royaume de Naples et de Florence. C'est elle qui, en août 1557, alors que la défaite de Saint-Quentin laisse la frontière nord du royaume sans protection, maintient l'ordre dans la capitale et en Île-de-France, obtenant d'une assemblée bourgeoise extraordinaire un vote promettant une levée de 300 000 écus. C'est elle encore qui cristallise, avec les Guises, un pôle de mécontentement face au choix de paix auquel procède Henri II, sous l'influence d'Anne de Montmorency et de Diane de Poitiers.
La souveraine de la concorde.
• Après la mort du roi en 1559, Catherine de Médicis aurait pratiqué une « politique de bascule » qui, selon la légende noire,relèverait d'une approche machiavélienne du pouvoir. On peut affirmer au contraire que la veuve d'Henri II se rattache à une tradition évangélique qui lui fait considérer la dissidence religieuse avec un irénisme relatif (elle possède un Nouveau Testament dans la traduction de 1523 de Lefèvre d'Étaples), et qu'elle est aussi influencée par le néoplatonisme. Sa bibliothèque comprend plus de 4 500 titres. Ses principaux conseillers, tel l'évêque Jean de Montluc, rêvent de la convocation d'un concile qui permettrait aux catholiques et aux calvinistes de trouver une via media ouvrant, à court ou à moyen terme, sur une réunification religieuse. Elle-même se fait représenter par Antoine Caron, à partir d'un poème composé par l'apothicaire Nicolas Houel, en princesse vouant sa vie à la seule préservation de la puissance royale. Et, dès mars 1560, elle ébauche une dynamique historique par la promulgation d'un édit amnistiant les réformés ; dans le même temps, elle entame une immense œuvre de correspondance destinée à faire connaître les options monarchiques à tous ceux qui participent de la « technostructure » étatique, alors même que le calvinisme s'organise en plus de 2 000 églises tout en recevant l'appui d'une partie des clientèles nobiliaires, et que le catholicisme est parcouru par un rêve eschatologique de violence éradicatrice. Dans un contexte d'occupations d'édifices cultuels, d'actes iconoclastes, de violences terroristes, la reine mère cherche empiriquement, grâce à la dignité de régente qui lui a été reconnue et au soutien du chancelier de Michel de L'Hospital, des solutions permettant de prévenir la guerre civile et d'instaurer les conditions d'une stabilisation. Ainsi, l'édit de juillet 1561, tout en maintenant l'interdiction de conventicules publics, prohibe toute intervention judiciaire motivée par un fait de religion. En septembre, c'est la convocation du colloque de Poissy : en organisant la rencontre de théologiens catholiques et calvinistes, Catherine espère voir se réaliser une déconfessionnalisation des partages religieux. Le rêve de concorde trouve son point d'aboutissement dans l'édit du 17 janvier 1562, qui entérine une décriminalisation de l'hérésie (promulgation de la liberté de culte et de conscience) et qui, même s'il s'explique par une dégradation accentuée de la situation intérieure, n'en est pas moins représentatif du point de vue philosophique adopté par la reine mère. Entraînée malgré elle dans la guerre civile aux côtés des triumvirs catholiques, Catherine reprend l'initiative politique en négociant la paix d'Amboise (mars 1563), puis en s'efforçant d'affermir simultanément l'autorité monarchique et la cohabitation religieuse (proclamation de la majorité de Charles IX, grand voyage de présentation au pays du nouveau roi, ordonnance de Moulins). Son projet pacificateur passe également par la reconstitution d'une vie de cour fondée sur les fêtes et les ballets, les représentations théâtrales, la protection accordée aux poètes et aux musiciens. Cette appropriation de la puissance politique se traduit, dès 1564, par la construction à Paris du palais des Tuileries, « maison » de la reine mère et œuvre de Philibert Delorme poursuivie par Jean Bullant. Mais son action qui, de 1563 à 1567, vise à émanciper le pouvoir monarchique du jeu concurrent des lignages aristocratiques et de la pression hispano-romaine est déstabilisée par le soulèvement iconoclaste des Flandres. En outre, les capitaines calvinistes, par la « surprise de Meaux » (septembre 1567), puis par les menaces qu'ils semblent faire peser sur la paix retrouvée en mars 1568, paraissent mettre en péril l'autorité royale dans l'exercice d'une puissance « absolue » impliquant une mission de modération des passions humaines. Aussi, la reine engage-t-elle temporairement Charles IX dans deux guerres d'éradication du calvinisme, qui s'achèvent par la paix de Saint-Germain-en-Laye, en août 1570.