Henri IV (suite)
Machiavélisme ou soumission au destin ?
Dans ce cadre débute une lente pacification du royaume, marquée par plusieurs événements : la victoire d'Ivry, en Normandie (14 mars 1590), l'échec d'une longue tentative d'investissement de Paris (mai-août), la mise en place de parlements et de pouvoirs municipaux royalistes. Mais, malgré les divisions internes de la Ligue, malgré des ralliements aristocratiques (Louis de Nevers), malgré quelques succès face aux villes aux mains des ligueurs, Henri IV se heurte à des difficultés multiples : financières, diplomatiques, militaires. Surtout, à partir de 1592, il est soumis à une pression double : celle des catholiques exclusivistes soutenus par Philippe II, qui se proposent, par une réunion d'états généraux convoqués à Paris en janvier 1593, d'élire un nouveau roi ; puis celle émanant de certains royalistes, qui en viennent à appuyer un prince du sang catholique, le comte de Soissons. Henri prend alors la décision d'abjurer. La cérémonie a pour cadre la basilique de Saint-Denis (25 juillet 1593), et sera suivie d'un sacre dans la cathédrale de Chartres (27 février 1594). Dénoncée par les ligueurs comme « simulée », cette conversion a donné lieu à diverses interprétations. Celles-ci décrivent le plus souvent un prince machiavélien, dissimulateur, réaliste, tacticien ou cynique, agissant en vertu de la conceptualisation d'une « raison d'État » avant la lettre, et par opportunisme politique, ou encore soumis à l'influence de sa maîtresse Gabrielle d'Estrées.
On peut aussi avancer qu'Henri IV, en revenant au catholicisme, ne fait qu'aller dans le sens de sa propagande politique, se soumettant à son propre destin : réaliser la pacification civile, même au prix du sacrifice de sa foi. Un sacrifice qui ne devait pas lui apparaître comme dramatique, dans la mesure où la paix, œuvre de la Raison, était censée créer les conditions d'une réunion des religions.
Sa décision n'empêche pas la poursuite de la guerre, même si la Ligue est affaiblie par l'entrée du roi dans Paris (25 mars 1594), le ralliement de princes tels que le duc de Guise, ou l'absolution pontificale (17 septembre 1595). Henri IV, qui est la cible d'une série d'attentats régicides (Barrière, Chastel...), déplace le conflit civil sur un plan international en déclarant la guerre à l'Espagne (17 janvier 1595). Il remporte d'abord la victoire de Fontaine-Française (5 juin), mais subit la défaite de Doullens (24 juillet) et l'échec de la prise d'Amiens en mars 1597 (mais la ville sera reconquise en septembre de la même année) ; puis il obtient progressivement, en échange de sa grâce et, surtout, de sommes d'argent considérables, la soumission des grands demeurés engagés dans la lutte ligueuse (duc de Mayenne, Joyeuse, Mercœur...). Le 2 mai 1598, la paix est signée à Vervins avec l'Espagne ; l'édit de Nantes (13 avril-2 mai 1598) octroie aux calvinistes un statut privilégié dans le royaume.
Entre tradition et modernité politiques
La stabilisation passe alors par une série d'actions politiques qui révèlent une stratégie de mise en valeur de la personne royale. C'est ainsi qu'après avoir obtenu l'annulation canonique de son union avec Marguerite de Valois, Henri IV épouse Marie de Médicis en décembre 1600. La continuation dynastique est assurée par la naissance de Louis, le 27 septembre 1601. C'est ensuite l'autorité monarchique qui, au nom des « libertés françoises » qu'elle a rétablies, est affermie par l'instauration d'un pouvoir « monocratique ». Henri IV gouverne sans recourir à la réunion des états généraux, en s'appuyant sur un conseil restreint, auquel ne participent pas les princes du sang, et sur un personnel constitué d'anciens serviteurs d'Henri III (Bellièvre, Villeroi), ou de compagnons d'armes, tel Sully. Ce dernier, par les multiples attributions qui lui sont confiées, et par la constitution d'une sorte de cabinet de « technocrates », anticipe sur le ministériat de Richelieu ou de Mazarin, voire de Colbert.
Parallèlement à sa volonté de montrer que sa loi est d'essence divine, le roi s'efforce de limiter les pouvoirs intermédiaires. Ainsi, il réforme les régimes municipaux afin d'en assurer la prise de contrôle par les officiers, il développe les commissions aux dépens de l'autorité des gouverneurs de province, qu'il limite aux choses militaires, il affirme sa souveraineté devant les états provinciaux (« Vos plus beaux privilèges sont quand vous avez les bonnes grâces de votre roi »), et bride les velléités des parlements d'user du droit de remontrance. Les complots, tel celui de Biron en 1602, donnent lieu à une répression exemplaire.
La reconstruction politique passe aussi par une concession fondamentale faite aux détenteurs d'offices royaux, qui consacre le service de l'État par l'instauration d'une nouvelle noblesse : en décembre 1604, l'édit de la paulette « patrimonialise » les offices moyennant le versement annuel d'une somme d'argent égale au soixantième de la valeur de la charge. C'est sans doute une inflexion décisive vers la monarchie absolue qui est engagée, mais elle ne doit pas dissimuler des continuités, car nombre de réformes amorcées durant le règne d'Henri III sont réalisées par Henri IV.
Sur le plan religieux, outre la mise en place du régime de privilèges concédés aux protestants, et une volonté affirmée de ne pas laisser le parti calviniste se rendre autonome, Henri IV met en pratique une stratégie de la prudence : s'il n'entreprend pas d'agir contre les « abus » de l'Église, il ne freine pas pour autant la dynamique de la Contre-Réforme, qui se traduit par l'essor d'ordres nouveaux tels que les Ursulines, ou par le retour des Jésuites.
Enfin, la paix passe par une action dans le domaine de l'économie, qui est le grand succès du règne. Les finances sont assainies par le biais d'une banqueroute partielle ; par souci d'alléger la taxation du monde paysan, un édit de mars 1600 modère le montant de la taille, alors que l'imposition indirecte est augmentée. Dès 1603-1605, le budget est équilibré. La royauté de la Raison est une royauté pratique qui vise, pour le « bon-heur » des sujets, à développer le royaume de manière volontariste. Les axes de circulation terrestres sont remis en état à l'initiative du grand voyer Sully, et le canal de Briare, première réalisation d'un grand projet de réseau navigable reliant la Méditerranée et l'océan Atlantique, souligne l'effort interventionniste de la monarchie. Des cultures comme le maïs, le mûrier, ou la betterave sont encouragées, tandis que des assèchements des marais du Poitou sont menés. Les campagnes rejoignent ainsi rapidement un état d'équilibre, et la production agricole connaît une hausse continue durant la décennie 1600-1610. Barthélemy de Laffemas inspire une politique mercantiliste, qui oriente la balance commerciale dans un sens favorable, et qui se traduit, sur le plan industriel, par une impulsion donnée à la soierie lyonnaise, aux ateliers de tapisseries et de toiles damassées installés à Paris, rue Saint-Antoine ou au Louvre même. Sont également encouragés les métiers de l'ébénisterie, de l'orfèvrerie, de la céramique et de la verrerie, par l'attribution de privilèges royaux... Outre-mer, Sully laisse Samuel de Champlain fonder un établissement en Acadie en 1604, et s'installer à Québec en 1608.