Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Montespan (Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de), (suite)

Fille du duc de Mortemart, premier gentilhomme de la Chambre du roi, cette jeune demoiselle a un physique avantageux, lorsque, à 19 ans, elle sort de son couvent de Saintes. Fille d'honneur de la reine Marie-Thérèse, elle est mariée en 1663 au marquis de Montespan et deux maternités l'épanouissent : gorge généreuse, sensualité chaude, esprit irrésistible. En 1667, entre la reine qui estropie le français et Mme de La Vallière qui songe au Carmel, le roi s'ennuie. Il a 29 ans, elle 26. Elle lui cède, sans doute, pendant la campagne de Flandre. La troupe crée une chanson : « Auprès de ma blonde, qu'il fait bon dormir. » Montespan, « premier cocu de France », fait un esclandre, qui lui vaut d'être emprisonné le 30 septembre 1668. Libéré, exilé en son château, près d'Auch, il fait célébrer les « funérailles » de son épouse qui, à la cour, assiste au « grand divertissement » (1668) donné en son honneur. Pour conserver cet amour naissant, Athénaïs de Montespan rencontre des sorcières : sorts, philtres, envoûtements. En 1668 et 1669, elle donne naissance à deux enfants. En 1670, naît le petit duc du Maine, confié à la veuve Scarron (future Mme de Maintenon). En 1672 et 1673, elle met au monde Vexin et Mlle de Nantes. En 1674, dotée à Versailles d'un appartement plus grand que celui de la reine, couverte de joyaux, elle accouche d'une autre fille, Mlle de Tours.

Au château de Clagny - construit pour elle en 1674 -, la favorite attire les hommes de lettres et les artistes mais aussi la colère de Bossuet et de Bourdaloue. À Pâques 1675, ces derniers triomphent. La « créature » est éloignée. Le Très-Chrétien communie. Mais elle ne lâche pas prise - magie, aphrodisiaques, messes noires -... et revient. Dame du palais, elle donne naissance à deux autres enfants : Mlle de Blois (1677), le comte de Toulouse (1678). Soit huit bâtards royaux en dix ans ! Surintendante de la Maison de la reine avec rang de duchesse (1679), protectrice de son frère, le duc de Vivonne, compromise dans l'affaire des Poisons (1679) - au cours de messes noires, des nouveau-nés auraient été sacrifiés -, elle semble perdue (1680). Mais le roi - infidèle -, La Reynie, Colbert et Louvois calment l'opinion. La marquise ne quitte la cour qu'en 1691, à 50 ans, pour un couvent parisien, avant d'aller mourir au fond de la province.

Montesquieu (Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de),

philosophe et écrivain (château de La Brède, près de Bordeaux, 1689 - Paris 1755).

Même s'il n'appartient pas à la très haute noblesse, Montesquieu n'a pas à se battre pour survivre, contrairement à tant d'écrivains désargentés de l'époque des Lumières. Sa charge au parlement de Bordeaux (vendue en 1726), la dot de sa femme et son domaine de La Brède lui permettent de se consacrer aux études, sans négliger les séjours mondains à Paris. Rendu célèbre par les Lettres persanes dès 1721, il obtient la gloire en 1748 avec un traité politique, De l'esprit des lois. Entre ces deux ouvrages fameux, il n'aura publié qu'un autre roman, médiocre (le Temple de Gnide, 1725), et des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734), un superbe survol de l'histoire romaine. Deux autres romans (Histoire véritable, et Arsace et Isménie, composés entre 1730 et 1740) ne seront connus qu'au XIXe siècle, mais ne modifieront en rien l'image de l'écrivain, immortalisé par deux ouvrages qui remportèrent un succès immédiat.

L'invention d'une forme.

• Dans les Lettres persanes, rédigées entre 1717 et 1720, Montesquieu n'invente ni l'usage de la lettre à des fins satiriques et idéologiques (auquel recourt Pascal, par exemple, dans les Provinciales, 1656-1657), ni même l'observateur oriental des sociétés européennes, jeu inverse des récits de voyages hors d'Europe, qui connaissent une vogue croissante (l'Espion dans les cours des princes chrétiens, Marana, 1684). Mais Montesquieu innove, incontestablement, au moins sur quatre points. D'abord, il insère une fiction romanesque (l'intrigue de sérail) dans un recueil de lettres satiriques et philosophiques. Pascal n'y songe pas, Marana non plus, et Voltaire s'y refuse avec dédain dans les Lettres anglaises (1734). Deuxièmement, il nourrit un roman épistolaire de discussions philosophiques (contrairement aux fameuses Lettres portugaises, de Guilleragues, en 1669, et aux Liaisons dangereuses, de Laclos, en 1782). En effet, le roman par lettres a pour vocation, depuis le XVIIe siècle, de se consacrer au cœur, aux passions. Troisièmement, il fonde le roman épistolaire « polyphonique », c'est-à-dire à correspondants multiples (vingt-cinq). Enfin, il pousse à un point jusque-là inconnu la diversité idéologique (lettres métaphysiques, politiques, morales, religieuses, économiques) et formelle (lettre-portrait, fable, dissertation, diatribe, confession, conte, satire, etc.).

Le mystère de la « chaîne secrète ».

• Montesquieu est donc le premier à éla-borer un système aussi complexe et ingénieux de lettres datées (du 19 mars 1711 au 11 novembre 1720), polyphoniques (25 scripteurs, 14 lecteurs) et polymorphes (par le contenu, le ton et la forme). En outre, les Lettres persanes jouent sur trois registres : la satire (ce que l'œil étranger s'étonne de voir en Europe), le roman (ce que le cœur oriental ressent) et la philosophie (ce que la raison conçoit). Où se trouvent le lien, l'unité ? En 1754, réfléchissant sur l'organisation de son livre, Montesquieu écrit qu'il s'est « donné l'avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue ». Cette « chaîne », qui suscite diverses interprétations, est sans doute le voyage des deux Persans, qui forme leurs idées, mais aussi déforme, de par l'absence d'Usbek, le sérail, en proie aux intrigues et aux passions, tandis qu'en France s'amplifie également un profond désordre moral, dû à la politique de Law, lequel vient de fuir à Venise quand le livre paraît. Le roman culmine donc sur une double catastrophe : celle de la France (lettre 146) ; celle, bien plus sanglante, du sérail (lettres 147 à 161).