paix au Moyen Âge.
Cette notion est d'une acception plus étendue que celle d'« état de non-guerre » ou de « cessation d'hostilités ».
En effet, dès le haut Moyen Âge, elle se confond avec l'idée d'« ordre social et politique voulu par Dieu ». Le terme même est employé pour désigner des lieux et des groupes dans lesquels doivent régner tranquillité et concorde : ainsi, certaines chartes urbaines prennent le nom de « paix », telle la Carta pacis Valencenensis (Charte de paix de Valenciennes, 1114). Les églises et des catégories de personnes (les « faibles », notamment les veuves et les orphelins, dans les actes carolingiens) sont protégées par un statut de paix.
Un idéal fondé sur la Bible et la tradition.
• À une époque où le christianisme forme l'horizon idéologique et culturel de tous, l'idée de paix s'appuie, en grande partie, sur des fondements bibliques et patristiques : la figure du Christ sert de référence (Jésus qui bénit les pacifiques et laisse sa paix aux Apôtres), mais sont également érigés en modèles des personnages de l'Ancien Testament, tels Salomon et même David.
Les Pères de l'Église, et principalement saint Augustin (354-430), forgent la tradition chrétienne en matière de paix et donnent à celle-ci une dimension spirituelle et eschatologique, que les moines appliquent à eux-mêmes. La véritable paix est la paix finale, céleste. Cependant, même si la paix du monde n'est que transitoire, elle est considérée comme un bien nécessaire pour atteindre la paix du Christ. Les Pères ont également défini les cas qui légitiment la guerre : selon saint Augustin, une guerre juste doit venger des injustices, être déclarée par l'autorité légitime et avoir pour objectif l'établissement de la paix. Cette notion de « guerre juste » est affinée et discutée tout au long du Moyen Âge, et reste un enjeu pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453).
Un instrument de légitimation du pouvoir.
• La conception du pouvoir royal s'inscrit largement dans le cadre de cette théologie de la guerre et de la paix. La paix, en tant qu'ordre intérieur, se trouve exaltée - avec plus ou moins d'insistance - dès l'époque des rois mérovingiens. Clotaire II affirme ainsi, dans un acte de 614, que la paix et la discipline perpétuelles doivent régner dans son royaume. Paix et ordre public, paix et justice, apparaissent comme l'essence même du pouvoir royal et impérial à l'époque carolingienne (dès 869, la promesse du sacre associe celle de promouvoir la paix et la justice). Cette conception est soutenue par les intellectuels : Alcuin, le conseiller de Charlemagne, insiste sur la nécessité de la paix sur terre, condition de l'accès à Dieu, mais il n'en note pas moins la compatibilité entre vie militaire et vie chrétienne.
Après l'éclipse du pouvoir royal, les Capétiens reprennent, au XIIe siècle, la figure du « prince pacificateur ». En 1155, Louis VII, réuni à Soissons avec les grands du royaume, institue une « paix de dix ans » sur toutes ses terres. Il reprend ainsi à son compte le mouvement de la Paix de Dieu, parti du monde des clercs à la fin du Xe siècle. La figure du pacificateur trouve son accomplissement avec Louis IX (Saint Louis), dont les chroniqueurs Jean de Joinville et Matthew Paris contribuent à façonner l'image, celle du « roi de paix » : « Li om du monde qui plus se traveilla de paiz entre ses sousgis » (Joinville).
Au-delà même des princes, l'image de l'homme de paix-arbitre - le saint, l'évêque, l'abbé... - est valorisée au Moyen Âge. La pratique de l'arbitrage entre personnes privées joue de fait un rôle important, notamment lorsque la justice publique est limitée. Les arbitres sont de véritables régulateurs de relations sociales, que ce soient des abbés lors des guerres privées de l'époque féodale ou les paiseurs, plus institutionnalisés, dans les villes du Nord. Le roi-arbitre complète l'image du roi-justicier et pacié. Louis XI rappelle ainsi à son fils qu'il doit « pourveoir a son povoir qu'il n'y ait hayne ne discord entre ses subjectz et si elle y est qu'il ne favorize plus aux uns que aux autres ».
Aux XIVe et XVe siècles, en un temps de crise économique et politique liée à la guerre, ces images persistent et se renforcent. Rois de France et d'Angleterre, princes de partis divers, insistent sur leurs efforts pour préserver la paix. Dans ce contexte difficile, il importe de maintenir discursivement l'image du pouvoir protecteur.
Les rituels de paix.
• Au-delà des discours, la paix au Moyen Âge est un moment privilégié entre deux périodes de tensions et de violences. Ce temps de la réconciliation (réelle ou symbolique) est régi par des règles précises, qui concernent le lieu, les gestes et les discours. Les banquets entre nobles, dès le haut Moyen Âge, comme les repas entre parties, relèvent du rituel de la paix privée.
À la fin du Xe siècle et durant le XIe, la mise en place de la Trêve et de la Paix de Dieu s'opère aussi en un moment singulier - le concile - où les émotions sont exacerbées, et les gestes rituels et incantatoires, multipliés. L'historien Jacques Paul les décrit ainsi : « Messes solennelles, prédications, processions, ostentations de reliques, serments publics, sont autant d'éléments émotionnels qui transforment ces réunions en cérémonies où s'expriment une conscience collective, par gestes et par cris. »
Pendant la guerre de Cent Ans, les très nombreuses négociations de trêves et traités entre les souverains d'Europe, mais aussi entre les princes du royaume de France, donnent lieu également à des rituels de paix complexes : baisers, banquets, dons, discussions solennelles et serments de paix se succèdent. Là encore, ces gestes ostensibles doivent réaffirmer le souci de paix des princes, au-delà de leurs pratiques politiques et guerrières. L'image du roi de paix se pérennise, au-delà de la rupture de l'unité chrétienne et des guerres de Religion.
Paix de Dieu
et Trêve de Dieu, mouvements nés sur l'initiative de l'Église, respectivement à la fin du Xe siècle et au début du XIe, pour tenter de remédier à la violence croissante imposée par l'aristocratie guerrière.