Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Résistance. (suite)

La Résistance dans la Libération

Partagée par de profondes lignes de fracture, la Résistance est cependant officiellement unifiée au début de 1944, y compris les forces armées. L'ordonnance du CFLN du 1er février 1944 crée les Forces françaises de l'intérieur (FFI), qui regroupent l'Armée secrète des mouvements (elle-même difficilement unifiée), les Francs-Tireurs et Partisans (FTP), et les éléments de l'Organisation de résistance de l'armée (ORA), formée d'anciens cadres de l'armée de l'armistice dissoute par les Allemands en janvier 1943. Pourtant, au sein des FFI, chacun entend conserver son autonomie et les hommes de l'ORA sont tenus en suspicion par les résistants de la première heure. En outre, la méthode d'emploi des forces de la Résistance alimente une vive polémique entre partisans et adversaires de l'« action immédiate ». Les premiers (les communistes et la majorité des résistants de l'intérieur) considèrent qu'il est stupide de recruter des volontaires pour les laisser dans l'inactivité et émousser ainsi leur combativité. Les seconds (essentiellement le CFLN et ses représentants en France) estiment qu'étant donné la puissance de la Wehrmacht il est suicidaire de provoquer le combat et qu'il convient d'orienter les forces de la Résistance, dans le cadre des ordres alliés, à préparer le jour « J » du débarquement. Ces considérations militaires ne sont pas exemptes d'arrière-pensées politiques. Les communistes, en effet, lient l'action immédiate à la préparation d'une « insurrection populaire » (ils créent, à cet effet, au début de 1944, des « milices patriotiques »). De Gaulle, de son côté, ne refuse pas le principe d'une telle insurrection, mais souhaite la contrôler afin d'éviter des troubles qui offriraient aux Américains un nouveau prétexte pour établir une administration militaire et, surtout, afin de prévenir une prise du pouvoir par les communistes. Un conflit plus vif encore oppose le CNR et le CFLN quant au commandement des FFI. Alors que le CNR plaide en faveur d'un commandement depuis la France et au profit de son propre organe militaire (l'état-major FFI de Pontcarral), de Gaulle opte pour un commandement extérieur (en avril 1944, le général Kœnig est nommé chef suprême des FFI) et, localement, pour l'appui sur douze délégués militaires régionaux (DMR), envoyés spécialement par Alger. Le conflit est résolu par les faits : le CNR, privé par les services gaullistes de postes radio-émetteurs, ne peut, à l'exception de la région parisienne, exercer le commandement des FFI. Au reste, les forces de la Résistance se montrent dans l'ensemble fidèles aux ordres des DMR ou des officiers des armées alliées qui se présentent à elles.

Il est difficile d'apprécier l'importance du rôle militaire joué par la Résistance dans la libération du pays. On sait qu'Eisenhower a estimé cet apport à l'équivalent de douze divisions. Étant donné l'évidente inégalité du rapport de forces, toutes les fois que la Résistance a affronté seule l'armée allemande sa déroute a été dramatique, comme l'illustrent, en 1944, les impitoyables répressions des maquis des Glières (mars), du mont Mouchet (juin) ou du Vercors (juillet). En revanche, l'action de renseignement a été fondamentale et les sabotages effectués dans le cadre de la préparation du débarquement, et selon des plans précisément élaborés, ont été très efficaces. Ainsi, le 6 juin 1944, aucun train ne circule en Normandie (les Allemands sont contraints d'utiliser de lents convois sur la Seine pour ravitailler leurs troupes) et les lignes longue distance des PTT qu'utilise la Wehrmacht sont constamment coupées. De même, le harcèlement des divisions allemandes qui montent au front a pu démoraliser certaines d'entre elles (on connaît l'exemple de la « colonne Elster », forte de 20 000 hommes, qui finit par se rendre aux Américains en septembre 1944), même si les représailles allemandes sont parfois atroces (massacre d'Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944). La Résistance joue, en outre, un précieux rôle d'appoint sur les arrières des armées alliées, permettant à celles-ci d'économiser un nombre appréciable de divisions pour des missions d'occupation : ainsi, après la percée d'Avranches, Patton confie à la Résistance de l'Ouest le soin de pacifier la Bretagne et de monter la garde devant les « poches » allemandes de l'Atlantique - qui ne se rendent que le 8 mai 1945. Ces missions présentent aussi le considérable avantage politique de « crédibiliser » la Résistance aux yeux des Alliés et d'éloigner la perspective de l'installation de l'AMGOT (Allied Military Government of the Occupied Territories) en France. Plus généralement, à mesure que les armées allemandes opèrent leur repli, la Résistance libère des dizaines de départements (en particulier dans le Sud-Ouest et le Midi) et favorise, parfois non sans heurts, l'installation du pouvoir gaullien. Enfin, localement, notamment dans la vallée du Rhône et à Paris, la Résistance peut directement participer auprès des forces alliées à la libération du pays.

En septembre 1944, le GPRF s'installe à Paris et de Gaulle décide de fondre les effectifs des FFI dans l'armée régulière du général de Lattre de Tassigny. La restauration de la légalité républicaine est en marche. Elle conduira souvent les résistants à se sentir frustrés de leur victoire et, tel Frenay, à regretter, amers, le « retour à la normale », sans que leurs ambitions révolutionnaires aient été satisfaites. Ce sentiment d'échec politique doit pourtant être nuancé dans la mesure où le gouvernement de la Libération entreprend les grandes réformes souhaitées par la charte du CNR de mars 1944 et dans la mesure où la grande majorité du personnel politique de la IVe République et de la Ve République gaullienne est fournie par les « hommes nouveaux » de la Résistance.

La Résistance occupe une place privilégiée dans l'imaginaire politique français du XXe siècle. Il convient pourtant de souligner le décalage qui existe entre l'influence politique, morale ou culturelle qu'elle a exercée et la réalité de sa force militaire. S'il est exagéré de réduire le phénomène résistant à une simple « prise de parole » politique, il est toutefois devenu impossible de le présenter comme un événement majeur de l'histoire militaire de la Seconde Guerre mondiale.