D'abord simple signe de ralliement des troupes, le drapeau devient, avec la Révolution et l'affirmation de l'idée de nation, le symbole même du pays. Au XIXe siècle, ses couleurs représentent un enjeu politique.
Du blanc au tricolore.
• Longtemps, l'étendard, sur lequel figurent les armes des chefs de régiment, ou une croix sur fond uni, permet au soldat de retrouver son unité. Le drapeau blanc des colonels généraux, quand ceux-ci commandent en l'absence du roi, signifie que les troupes sont placées sous leur seule autorité ; puis il devient prérogative royale lorsque Louis XIV abolit leurs charges en 1661. Mais la monarchie reconnaît pour seuls emblèmes l'azur, réputé remonter aux Mérovingiens, et les lys, apparus au XIIe siècle, encore que les Capétiens directs aient porté le rouge de saint Denis, protecteur du royaume.
La Révolution a besoin d'un signe de ralliement, et la tradition veut que, le 17 juillet 1789, Louis XVI, reçu par Jean Bailly, maire de Paris, ait ajouté un ruban bleu et rouge - les couleurs de la ville - à la cocarde blanche de son chapeau. En fait, ces trois couleurs ont été adoptées auparavant par La Fayette pour la Garde nationale, mêlant le blanc des gardes-françaises ralliées au bleu et au rouge de la milice parisienne. La fête de la Fédération consacre ces trois couleurs et les premières victoires remportées sous le signe de l'étendard tricolore assurent leur pérennité, malgré quelques réticences de conventionnels, lorsque s'effondre la monarchie constitutionnelle. Leur ordre reste imprécis jusqu'au décret du 15 février 1795, qui le fixe définitivement, et est copié ensuite par nombre de pays. Napoléon rêve, un temps, de vert et d'or, mais l'armée est si attachée au drapeau tricolore de ses victoires que l'Empereur se contente de remplacer le fer de lance de la hampe par un aigle.
Des conflits au consensus.
• Le 18 avril 1816, la Restauration impose le drapeau blanc, qu'émigrés et vendéens ont arboré en l'absence du roi, comme avant 1661. Mais il est identifié à la réaction ultra, de sorte que l'ancien drapeau tricolore reste cher aux libéraux, et réapparaît en 1830. Louis-Philippe Ier déclare : « La nation reprend ses couleurs. » Celles-ci ne sont plus assimilées à un régime, mais au pays. Lamartine les défend en 1848, au nom des souvenirs révolutionnaires et impériaux ; elles sont conservées par Napoléon III, puis par les républiques successives, et même par le régime de Vichy. Les tentatives de restauration du comte de Chambord, en 1873 principalement, échouent en partie à cause de l'attachement du prétendant au trône au drapeau blanc et à ce qu'il symbolise.
Le drapeau tricolore est alors réputé transcender la politique et les régimes. Peut-être parce que, plus qu'au drapeau blanc, il s'oppose désormais au drapeau rouge : signe de l'instauration de la loi martiale, ce dernier a été hissé par les forces de l'ordre avant l'assaut, lors de la fusillade du Champ-de-Mars (juillet 1791) ; en souvenir, Paris le déploie en juillet 1792 pour marquer son hostilité à la monarchie. Il flotte ensuite sur les barricades en 1832. En 1848, Lamartine le repousse, contre ceux qui y voient le « symbole de [leurs] misères et de la rupture avec le passé ». La Commune l'adopte, et il demeure le drapeau de la révolution sociale face à la France « bourgeoise ». Mais les socialistes dès août 1914, puis les communistes à partir de 1934, lui associent - voire lui substituent - les trois couleurs. Par ailleurs, l'aura du drapeau noir, signifiant à l'origine « pas de quartier », ne dépasse pas les frontières du mouvement anarchiste. Le drapeau tricolore, quant à lui, a longtemps fait l'objet d'un culte, développé avec les guerres de la Révolution et de l'Empire, culminant sous la IIIe République, mais s'affaiblissant à la fin du XXe siècle. Ainsi, il n'est plus scandaleux ni étrange aujourd'hui que des mairies mêlent les couleurs régionales à celles de la France, ou que, depuis 1988, le président de la République s'adresse aux Français sur fond de drapeaux français et européen. Mais est-ce l'attitude envers le drapeau qui change, ou celle envers la nation ?