Figaro (le), (suite)
Le Figaro a-t-il alors une ligne politique ferme, lui qui accueille un temps Jules Vallès et songe à recueillir Louis Veuillot ? À en croire Louis Ulbach, il « ne trahit personne puisqu'il ne défend rien ». Pourtant, la fibre légitimiste domine, l'anti-républicanisme y fleurit, jusqu'à ce que les successeurs de Villemessant opèrent un recentrage : c'est ainsi que Zola va y signer divers articles entre 1895 - « La vertu de la République » - et 1897 - où, dans une série intitulée « La vérité en marche », il mène campagne en faveur de Dreyfus. Mais, la clientèle modérée se détournant, le titre perd plus de la moitié de ses lecteurs, et Gaston Calmette (nommé directeur en 1902) doit réorienter la ligne politique du journal en menant de vigoureuses campagnes conservatrices (l'une d'elles lui vaudra d'ailleurs d'être assassiné par l'épouse du ministre Joseph Caillaux). Sous la houlette littéraire de Robert de Flers et d'Alfred Capus, le Figaro traverse la Grande Guerre en affichant un patriotisme à toute épreuve, qui lui permet de redorer partiellement son blason. Mais le capital, fragilisé, tombe entre les mains du parfumeur François Coty (1922), qui soumet le titre à ses humeurs politiques fluctuantes et par trop orientées vers l'extrémisme droitier ; une nouvelle fois, le lectorat modéré s'éloigne, et le quotidien atteint son étiage (moins de 10 000 exemplaires en 1932).
« Le Figaro » de Pierre Brisson.
• À la mort de Coty, en 1934, le capital passe entre les mains de sa veuve, remariée au milliardaire roumain Cotnareanu. Autour de Lucien Romier et de Pierre Brisson, un comité éditorial rassemble journalistes de talent et écrivains de renom : Mauriac, Giraudoux, Morand, Carco, Claudel, Montherlant, etc. Situé à droite, clairvoyant, critique à l'égard des fascismes, discrètement munichois, le journal doit installer ses locaux à Lyon dès 1940. Deux ans plus tard, Brisson - qui après son évasion a pris la tête de la rédaction - refuse de dénoncer « l'agression anglo-américaine » et décide de saborder le journal, qui reparaît en août 1944. S'ouvre alors un premier conflit entre Mme Cotnareanu, détentrice du capital, et les journalistes : au terme de nombreuses années de procédure, Pierre Brisson, s'appuyant sur le soutien de l'industriel lainier (et ancien propriétaire de Paris-Soir) Jean Prouvost, obtient de prendre la direction d'une société chargée de gérer le journal : l'indépendance du titre est sauvegardée. Défenseur des idées de la droite libérale, atlantiste et foncièrement anticommuniste, accompagnant la politique économique de Pinay, le Figaro de Brisson devient le grand quotidien de référence du matin. Favorable au retour de De Gaulle, il suit les retournements de politique intérieure (guerre d'Algérie) et extérieures (rapprochement avec la « Russie soviétique », refus de l'atlantisme systématique, etc.) auxquels procède le Général.
Crises et rebondissements.
• À la mort de Brisson en 1964, le Figaro a un tirage de plus de 500 000 exemplaires. Mais une nouvelle crise s'ouvre entre les détenteurs du capital, désormais contrôlé par Prouvost et le sucrier Béghin, et la rédaction. Craignant pour son indépendance, celle-ci obtient finalement d'être représentée au sein d'un directoire dont le président a titre de directeur de la rédaction : le cap est ainsi maintenu d'un journal globalement progouvernemental dès lors que les principes libéraux ne sont pas en danger.
En 1975, Prouvost vend ses parts au « papivore » Robert Hersant, qui fusionne peu après le titre avec l'Aurore : le journal accentue son orientation à droite, ce qui provoque des départs, dont celui de Raymond Aron (1977). L'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 en fait le porte-parole d'une opposition au ton polémique. Le recrutement surprise de Franz-Olivier Giesbert (1988), transfuge du Nouvel Observateur, semble redonner quelque crédit à un quotidien dont le lectorat n'a cessé de fondre, en dépit d'une politique de marketing très active.