Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Mérovingiens (suite)

On peut d'ailleurs penser qu'une partie des aristocraties participa volontiers à l'entreprise de reconstruction monarchique, car jamais la cour royale installée à Paris n'avait autant rassemblé les élites du royaume que dans les années 620 et 630. Les aristocrates gallo-romains du Midi tout autant que les aristocrates francs du Nord y envoyèrent désormais leurs rejetons, pour qu'ils fussent éduqués et formés aux tâches de l'administration civile et religieuse. Ainsi, le jeune Dagobert, fils de Clotaire II, côtoya au palais paternel de nombreux fils d'aristocrates, parmi lesquels Didier, venu de la région d'Albi, Éloi, du Limousin, et Ouen, de Neustrie. Les uns et les autres allaient occuper divers offices palatins auprès de Dagobert, devenu roi, avant d'être envoyés comme comtes ou évêques, parfois loin de leur terre natale. Jamais l'intégration entre Francs et Romains, entre Nord et Midi, n'avait paru aussi bien engagée depuis la conquête de Clovis.

Pour autant, les sentiments d'autonomie régionale ne s'étaient pas totalement dissous dans le légitimisme mérovingien. Ainsi, dès 623, les grands d'Austrasie demandèrent un roi à Clotaire II, qui leur dépêcha son fils Dagobert, alors âgé d'une quinzaine d'années. Ce dernier dut gouverner avec le conseil d'Arnoul et de Pépin Ier, initiateurs du ralliement de 613, respectivement promus à l'évêché de Metz et à la mairie du palais d'Austrasie. Le jeune roi adhéra presque aussitôt aux rêves expansionnistes de ses nouveaux tuteurs, non seulement pour mettre au pas les peuples de la Germanie - Alamans et Thuringiens -, que la guerre civile avait encouragés à ébranler la tutelle franque, mais aussi pour intimider ces autres peuples, Frisons, Saxons ou Slaves occidentaux, que les Francs n'avaient jamais réussi à soumettre.

Quand Dagobert succéda à son père, en 629, et se réinstalla à Paris - ou, plutôt, dans les palais des environs, dont celui de Clichy, son préféré -, il continua à faire respecter la royauté franque, non seulement sur ses frontières (à l'est, à l'ouest - face aux Bretons -, et au sud - face aux Basques) mais aussi à l'intérieur, grâce à plusieurs tournées dans les regna, où il alla jusqu'à rendre la justice en première instance. Surtout, il multiplia les gratifications en faveur des églises, spécialement celle de Saint-Denis, auprès de laquelle il avait élu sépulture : ainsi, à sa mort, en 639, Dagobert Ier fut le premier rex Francorum à être enterré dans ce lieu qui allait devenir le plus important mausolée dynastique des rois de France.

La crise de la royauté mérovingienne et l'ascension des aristocraties régionales

Mais les succès de Dagobert n'abolirent en rien les particularismes : dès 632, soit trois ans après son installation à Paris, il avait dû envoyer son fils Sigebert III, encore enfant, comme roi délégué en Austrasie ; en 639, la Neustrie et la Burgondie furent promises à son cadet, Clovis II. Ces deux rois, qui allaient vivre respectivement jusqu'en 656 et 657, et dont la tradition a surtout retenu la piété et les faveurs accordées aux églises, parurent perpétuer un temps la grandeur du regnum. Cependant, leur inexpérience encouragea les clans aristocratiques à multiplier les manœuvres pour asseoir dans chacun des trois royaumes leur tutelle sur l'institution palatiale, voire sur l'institution monarchique. Cela devint patent en 656, quand le maire du palais d'Austrasie Grimoald, fils de Pépin Ier de Landen, imposa à la succession de Sigebert III son propre fils Childebert, qu'il avait fait adopter par le roi, au détriment de l'héritier légitime, tonsuré et expédié dans un lointain exil.

Certes, l'épisode ne dura qu'un temps, et un Mérovingien fut réinstallé sur le trône d'Austrasie dès 662. Mais les descendants de Clovis qui se succédèrent désormais dans chacun des regna furent des rois faibles, le plus souvent mineurs, et presque toujours voués à une mort précoce. Leurs moyens s'étaient considérablement réduits, le fisc ayant été anémié par la multiplication des donations aux grands et surtout aux églises, et la fin des guerres extérieures ne faisant plus rentrer dans les caisses ni butin ni tribut. Pendant ce temps, les plus grandes familles aristocratiques organisaient autour d'elles des groupes de parenté consolidés par des mariages ; elles constituaient des réseaux de fidélité récompensés par le gîte, le couvert, l'armement, voire des terres ; elles tendaient même à sacraliser leur pouvoir sur les biens et les hommes par l'élévation d'églises et de monastères sur les tombes de leurs ancêtres. Les plus puissantes d'entre elles, fortes de leur position économique, sociale, militaire, et maintenant religieuse, se disputèrent, dans la seconde moitié du VIIe siècle, les mairies du palais de chacun des regna. Quand certaines eurent fini par triompher dans leur propre regnum, elles se retournèrent contre les autres pour imposer leur suprématie à l'ensemble du royaume des Francs : ce fut chose faite en 687, quand Pépin II, petit-fils de Pépin Ier de Landen par sa mère et d'Arnoul par son père, vainquit à Tertry le maire du palais de Neustrie-Bourgogne, Berchaire, et son groupe familial. On put alors croire au retour à l'unité franque. Mais, même si Thierry III, fils de Clovis II, se trouvait être le seul roi, cette unité avait-elle encore quelque chose de mérovingien ?

En réalité, sauf période exceptionnelle - comme la crise de succession qui suivit la mort de Pépin II, en 714 -, c'est la famille des Arnulfo-Pippinides qui allait présider désormais aux destinées du royaume des Francs, les Mérovingiens n'exerçant plus réellement le pouvoir. L'emprise acquise par Pépin II, puis par son fils Charles Martel, fermement établi à la mairie du palais à partir de 720 environ, était devenue telle qu'à la mort de chaque roi ce sont eux qui choisirent son successeur dans le vivier mérovingien - en fait, parmi la descendance de Clovis II. À la mort de Thierry IV, en 737, Charles jugea même inutile de le remplacer. Il fallut qu'en 743 le sentiment de « légitimisme mérovingien » s'exprimât suffisamment fort pour que Carloman et Pépin III, fils et successeurs de Charles, restaurassent Childéric III. Mais ce ne fut qu'un sursis : en 751, Pépin le Bref déposa ce dernier pour prendre sa place, mettant ainsi un terme à l'histoire de la royauté mérovingienne.