Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Révolution française (suite)

Les conséquences de cette Constitution civile du clergé, qui remet en cause le concordat de 1516, sont considérables et inattendues. Alors que, au même moment, en Avignon (cité qui fait partie des États pontificaux depuis le XIVe siècle), partisans et adversaires du rattachement à la France se déchirent, le pape ne condamne la réforme qu'en mars 1791, confortant la désapprobation muette du roi et achevant de diviser l'Église de France en deux : presque tous les évêques et un peu moins de la moitié des prêtres ont refusé de prêter serment. Dans l'Ouest et le Midi (notamment à Montauban et à Nîmes), les querelles religieuses prennent des dimensions dramatiques. La religion devient la pierre de touche de l'acceptation ou du refus de la Révolution.

Cette réorganisation religieuse témoigne des principes généraux qui inspirent les mesures adoptées depuis 1789 : rationalisation, séparation des pouvoirs et principe électif, enfin adhésion des citoyens. La Chambre unique, élue pour deux ans, établit et vote le budget et les lois ; elle possède un pouvoir considérable puisque le « roi des Français » ne dispose que d'un droit de veto suspensif (c'est-à-dire limité à deux législatures). Les élections, régies par un système censitaire, excluent, outre les femmes, la population de travailleurs occasionnels et de journaliers, les « citoyens passifs » (qui ne jouissent que des droits civils, mais ne peuvent voter). Par une volonté d'unification, un nouveau réseau administratif est mis en place (communes, cantons, districts et 83 départements), dont les agents sont désignés par l'élection. La nouvelle classe dirigeante est donc ouverte à l'ambition de tous les diplômés et de tous les talents. L'organisation de la justice est, elle aussi, entièrement remodelée selon les mêmes principes, et les peines encourues varient selon la gravité des délits. Dans l'armée, les grades d'officiers ne sont plus réservés aux seuls nobles. Enfin, le libéralisme économique, en mettant l'accent sur l'esprit d'entreprise et sur la concurrence, a des effets importants : les associations de travailleurs sont interdites, les douanes provinciales et les impôts sur la circulation des marchandises, supprimés. Tous ces remaniements, qui trouvent leur origine dans les débats philosophiques du siècle et notamment dans la philosophie du droit naturel, sont consacrés par l'élan fédérateur qui rassemble les « gardes nationaux », levés spontanément pour défendre la Révolution, et qui culmine le 14 juillet 1790, sur le Champ-de-Mars, à Paris, en présence du roi, lors d'une manifestation dont l'unanimité est d'autant plus proclamée que les antagonismes restent mal acceptés.

La compréhension des oppositions à la Révolution demeure une question sensible dans toute l'historiographie française. L'insistance mise sur le caractère inéluctable de l'essor révolutionnaire a fait négliger l'hétérogénéité de ses supports et l'aspect conjoncturel de leur unité. L'instauration d'un nouveau régime appliquant des principes réformateurs stricts ne peut que rendre sensibles à la propagande de la Contre-Révolution des groupes et des communautés mécontentés par la politique religieuse, par la hausse des prix et par la disparition de nombreux liens d'assistance. Dès 1790, des mouvements contre-révolutionnaires (notamment une presse très active) sont à l'œuvre à l'intérieur du pays ; ils rassemblent des paysans dans les camps de Jalès (Ardèche) ou contribuent à des affrontements, parfois mortels, dans l'Ouest. Dans ce contexte troublé, la fuite du roi et de sa famille, le 21 juin 1791, vers la frontière orientale, aggrave les luttes. L'arrestation de Louis XVI, à Varennes, et son retour forcé à Paris ne résolvent rien puisque l'Assemblée, décidée à achever la Révolution et à éviter toute aventure démocratique ou sociale, s'attache à la fiction de l'enlèvement du roi, prive ce dernier de tout pouvoir et maintient les institutions. Ce pari va être rapidement perdu : les bouleversements ont été trop importants et ont suscité trop d'espoirs et de frustrations pour que les modérés de l'Assemblée constituante puissent imposer l'arrêt du processus révolutionnaire.

Les luttes pour le pouvoir

Après juin 1791, les divisions deviennent patentes, faisant le jeu des extrémistes des deux camps. L'agitation sociale est entretenue par le club révolutionnaire des Cordeliers, qui accepte en son sein des citoyens « passifs » désireux de jouer un rôle politique - et que l'on commence à appeler les « sans-culottes ». Le 17 juillet, la Garde nationale, débordée, tire sur une foule de pétitionnaires, venue au Champ-de-Mars réclamer la déchéance de Louis XVI. Une cinquantaine de manifestants sont tués. Cette journée rompt l'unité des « patriotes » - qui se divisent entre « jacobins », qui veulent poursuivre le cours de la Révolution, et « feuillants », plus modérés. Dans le même temps, nombre d'officiers de l'armée refusent de prêter serment et émigrent à l'étranger. Tandis que les sans-culottes arborent le bonnet phrygien, symbole de la liberté, et commencent à s'organiser au sein de « sections », des jacqueries rurales affectent de nombreuses régions (Orléanais, vallée du Rhône). Enfin, à Saint-Domingue, la révolte des esclaves entraîne une véritable guerre civile.

Les réactions hors de France aggravent la situation, alimentées par les Réflexions sur la Révolution française de l'Irlandais Edmund Burke, contempteur de la mutation française. L'inquiétude des cours européennes devant le messianisme révolutionnaire, qui remet en cause toutes les hiérarchies, se traduit par la déclaration dite « de Pillnitz », par laquelle, en août 1791, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse se disent prêts à « agir promptement » pour rétablir les droits du roi. Cette proclamation maladroite a finalement pour effet de faire apparaître le couple royal comme traître à la France. L'Assemblée législative, mise en place par la Constitution du 3 septembre 1791, qui rassemble à partir du 1er octobre 1791 des députés révolutionnaires modérés pour l'essentiel, renforce les mesures prises contre les prêtres réfractaires et contre les émigrés, et demande aux princes allemands de disperser les bandes d'émigrés rassemblées aux frontières du pays. Ces décrets, belliqueux, sont le prétexte à la guerre. La droite et le roi attendent une défaite rapide des troupes françaises, permettant une restauration monarchique ; la gauche (alors dominée par Brissot) espère démasquer les traîtres et compte sur le soutien des autres peuples européens. Rares sont ceux qui, comme Robespierre, prêchent la prudence. Le roi, qui tente la politique du pire, évince les feuillants des ministères, pour en confier la direction à des jacobins, amis de Brissot.