Quatorze Juillet (suite)
La « belle époque » de la fête nationale (1880-1914)
Une fête républicaine.
• Officiellement instituée, la fête nationale se veut davantage célébration de la République triomphante que commémoration d'un soulèvement révolutionnaire. Par une falsification historique, le 14 juillet 1789 est même présenté comme l'acte de naissance de la Ire République. Cependant, en 1880, cette volonté d'affirmation républicaine n'empêche pas la recherche de l'unanimité. Ainsi, aucun décret n'impose aux municipalités ni aux citoyens de célébrer le 14 Juillet, même si des recommandations de participation sont adressées aux autorités. Toutefois, les curés - anticléricalisme oblige - sont invités à sonner les cloches à toute volée au matin de la fête nationale. Municipalités prorépublicaines, loges maçonniques et défenseurs zélés du régime sont les principaux officiants du culte. Ils organisent des fêtes laïques pour les enfants, des banquets fraternels pour les adultes, se terminant par des discours à la gloire de la République, ancrant le présent dans le passé pour augurer d'un avenir meilleur. Par centaines, des bustes de Marianne, allégorie et de la Liberté et de la République, sont proposés à la ferveur des foules. Couronnée de lauriers - image sage et rassurante du régime - ou coiffée d'un bonnet phrygien - représentation plus radicale -, Marianne est exposée en place d'honneur, dans les mairies, sur la voie publique ou dans les foyers, tandis que les réactionnaires caricaturent cet objet de culte sous les traits d'une virago ou d'une dévergondée. Des statues monumentales à son effigie, accompagnées parfois de celles de personnages historiques haussés au rang de héros, sont érigées à l'occasion de la fête nationale : le 14 juillet 1883, on inaugure à Paris la statue de la place de la République, due à Morice ; la fête républicaine se veut pédagogique.
Une fête patriotique.
• La prise de la Bastille induit, pour ses thuriféraires, une sorte de « levée en masse » de soldats citoyens. Chaque 14 Juillet est alors « la fête du drapeau aux trois couleurs ». En 1880, le président Jules Grévy remet aux régiments les drapeaux de la République. La revue, « clou » de la fête nationale, est le seul rite officiel imposé à Paris, dans les villes de garnison, et jusque dans les villages, où les sapeurs-pompiers remplacent l'armée. Jouer de la corde patriotique est habile de la part du gouvernement. Quel Français, en deuil de l'Alsace-Lorraine, oserait critiquer alors une telle liturgie ? Les objurgations d'une extrême gauche minoritaire et de quelques antimilitaristes trouvent peu d'écho. Les Parisiens se pressent à Longchamp « pour fêter, voir et complimenter l'armée française ». Le cérémonial de la IIIe République, qui réunit autorités civiles et militaires, et place coude à coude des citoyens de conditions sociales diverses, concrétise l'union nationale et entretient le désir de reconquête des provinces perdues. La revue opère la symbiose entre armée et République, malgré les passions du boulangisme puis de l'affaire Dreyfus, et participe ainsi à l'enracinement du patriotisme, comme en témoignera l'« union sacrée » en 1914.
Une fête populaire.
• « La fête de la souveraineté constitue le temps fort de la mise en scène du pouvoir » : cette définition de l'historien Alain Corbin vaut aussi bien pour le régime monarchique que républicain. Deux différences pourtant : à partir de 1880, le peuple est le souverain et ce sont les citoyens qui règlent la mise en scène. Comme en 1789, ces derniers prennent possession de la rue, pacifiquement cette fois. Ils l'illuminent, la décorent de guirlandes, d'arcs de triomphe, de drapeaux, avec un éclat dont les peintres (Van Gogh, Marquet, Dufy...) ont rendu les couleurs. Rien de bien original, pourtant : les municipalités, les comités de quartiers, parfois les instituteurs, palliant la défection des élus (ainsi, en Vendée), se contentent d'organiser, comme sous les régimes antérieurs, jeux de plein air, bals, feux d'artifices. Au reste, la joie naît d'abord du spectacle que le peuple se donne à lui-même. On compte jusqu'à mille deux cents bals à Paris ! Sans doute, la droite boude ces réjouissances (souvent, les gens aisés ferment leurs volets), tandis qu'une partie de la gauche socialiste, autour de Guesde, tente de détourner le peuple de ces « jeux du cirque ». C'est que l'une veut imposer une contre-fête - celle de Jeanne d'Arc, devenue fête nationale en 1920 -, alors que l'autre préfère se rassembler le 1er mai à partir de 1890. Il n'empêche. Le succès du 14 Juillet repose sur l'adhésion des classes laborieuses aux manifestations tant cérémonielles que festives. L'homme du peuple continue d'ancrer la République dans la Révolution et de croire, malgré les désenchantements, à ses vertus. Déjà Jaurès, l'autre grand nom du socialisme, l'a compris, qui écrit : « Le 14 Juillet, le sang du peuple coule pour les libertés. »
La réactualisation du mythe au xxe siècle
Pour la défense des libertés nationales.
• Après quatre années de guerre, la fête de la Victoire est fixée au 14 juillet 1919. Louis Lafferre, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, le proclame : « Aucune date ne saurait [mieux] convenir à cette solennité... La nation associera, dans son hommage, les libertés conquises par nos ancêtres et le triomphe définitif du droit assuré par nos soldats. » Même les royalistes de l'Action française glorifient, en une reprise surprenante de la métaphore, les « poilus » et les Alliés qui sont parvenus à renverser « la plus formidable bastille qui ait pesé sur l'Europe et le monde ». Deux cents peintres et artistes ont travaillé à la décoration de l'axe Arc de triomphe-Concorde, « voie royale » du défilé. La foule a vibré : « C'est beau comme le tonnerre et les éclairs », commente Barrès. Le défilé de la victoire honore ceux que Léon Jouhaux appelait, en 1914, « les soldats du droit et de la liberté ». Il rend hommage à leurs généraux - Joffre, Foch, Pétain -, mais il peut être aussi considéré comme un nouveau triomphe pour la République.