Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

Aquitaine, (suite)

C'est cette identité indistincte qui est le véritable produit de l'histoire. Alors que Jules César limite l'Aquitaine à la Garonne, Auguste crée sous ce nom une immense province allant des Pyrénées à la Loire et jusqu'aux frontières de la Narbonnaise. Durant les premières années du IVe siècle, ce territoire est découpé en trois parties. Bordeaux devient alors le chef-lieu de l'« Aquitaine seconde ». En proie aux invasions des débuts du Ve, puis du VIe siècle, le territoire aquitain, que les Carolingiens ne parviennent pas à contrôler, sombre dans l'obscurité pendant près de cinq cent ans. Il n'en émerge qu'au milieu du XIe siècle, et va servir d'enjeu, pendant trois siècles, aux luttes qui opposent les maisons royales de France et d'Angleterre. Jusqu'en 1453, le sort de l'Aquitaine, dont les contours varient encore très largement au gré des hasards de la guerre - la Guyenne et la Gascogne étant particulièrement disputées -, est lié à celui de la couronne d'Angleterre. L'identité de l'Aquitaine ne s'en trouve pas renforcée, car la province n'a de véritable chef politique que lorsque l'illustre Prince Noir s'installe à Bordeaux, de 1362 à 1371. Entre-temps, les terres aquitaines ne sont sous l'autorité que d'un prince lointain qui, bon gré mal gré, laisse s'affirmer de grandes familles féodales comme les Albret, les Armagnacs, les comtes de Périgord et de Foix, fidèles à leurs seuls intérêts. C'est dans ce morcellement pluriséculaire, dans cette absence de pouvoir centralisateur, que réside l'importance toujours actuelle des « pays », dont se réclament des populations qui n'ont jamais eu d'identité aquitaine, ni même gasconne. Cette dernière doit beaucoup plus à Alexandre Dumas et à Edmond Rostand qu'à l'histoire, car d'Artagnan est gersois, et Cyrano de Bergerac périgourdin.

De la paix romaine à l'intégration au royaume de France.

• Après la conquête romaine, les rives de la Garonne constituent, grâce à leur éloignement des frontières, une terre de paix où s'édifient de belles fortunes et s'épanouit une riche culture. Le rhéteur Ausone (310-vers 395), très riche propriétaire viticole, précepteur d'un prince impérial et poète épicurien, est l'incarnation même de cet art de vivre, certes réservé à une étroite élite.

Les domaines des Plantagenêts - plus précisément Bordeaux - renouent au XIIIe siècle avec une prospérité certaine, grâce à l'essor du commerce international du vin. À l'intérieur des terres, entre le milieu du XIIIe et celui du XIVe siècle, la construction des bastides permet le repeuplement des campagnes. Parmi les célébrités de ce temps figurent les papes d'Avignon : Clément V et Jean XXII - le premier né à Villandraut, où se dresse toujours son château, le second à Cahors -, qui, de 1305 à 1334, prodiguent leurs bienfaits à leur terre d'origine. Ravagées par la guerre de Cent Ans, les terres aquitaines étaient restées à l'abri de la féroce répression contre l'hérésie albigeoise (XIIIe siècle) dans le Languedoc voisin.

L'Aquitaine après la reconquête.

• En 1453, la bataille de Castillon met fin à la présence anglaise, au grand dam des Bordelais, qui avaient opté pour l'Angleterre. Le rattachement de l'Aquitaine au royaume de France s'avère difficile. La création du parlement par Louis XI en 1462 est le symbole d'une certaine réconciliation avec le pouvoir royal, mais la construction des châteaux Trompette et du Hâ vise à protéger la ville et à surveiller ses habitants. L'Aquitaine, très imprégnée par le protestantisme, sous la protection de Marguerite de Navarre et de sa fille Jeanne d'Albret, qui font de Nérac un centre de l'Église réformée, connaît toutes les affres des guerres de Religion. C'est de l'Aquitaine qu'Henri de Navarre part à la conquête de son royaume, notamment en battant Joyeuse à Coutras en 1587. Au XVIe siècle, de violentes jacqueries, dues à une misère accrue par la pression fiscale, éclatent dans les campagnes. Au XVIIe siècle, l'autorité royale peine toujours à s'imposer. À l'époque de la Fronde, en 1651-1653, Bordeaux est le théâtre de la révolte de l'Ormée, dans laquelle d'aucuns décèlent un mouvement de protestation original d'une petite bourgeoisie urbaine un moment ouverte à des idées républicaines. Au cours des décennies suivantes, la ville se soumet au pouvoir royal, mais certaines campagnes, telle la Chalosse entre 1661 et 1675, sont encore le théâtre de dures révoltes. Au XVIIIe siècle, c'est le parlement qui s'affiche comme le porte-parole de cette hostilité pluriséculaire au pouvoir royal, au point d'être exilé à Libourne en 1787.

Un nouvel âge d'or.

• Malgré cette contestation, le XVIIIe siècle est un nouvel âge d'or pour la province, après celui du XIIIe siècle. L'aristocratie parlementaire bordelaise développe le vignoble dans ses propriétés du Médoc. Le commerce du vin avec l'Angleterre et les pays du Nord constitue une première source de richesses ; la deuxième est le commerce sucrier (et la traite des Noirs) avec les îles (Saint-Domingue). Bayonne et le Pays basque ont conservé une très large autonomie, les Basques devenant ainsi, dès le XVe  siècle, les maîtres de la chasse à la baleine, puis de la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve. L'industrie textile prospère sur l'axe de la moyenne Garonne et fournit à Bordeaux voiles et cordages. Les moulins, tels ceux de Nérac, répondent aux besoins du commerce antillais, tandis que les forges et les forêts du Périgord satisfont les exigences du port et du vignoble. Cependant, la prospérité relative de l'Aquitaine intérieure est avant tout fondée sur une polyculture appuyée sur la production de maïs, dont les rendements élevés surprennent l'Anglais Arthur Young vers 1780.

Le rôle de Bordeaux n'est pas négligeable, mais la richesse de la ville tient davantage à son ouverture sur l'océan qu'à son insertion dans le tissu régional. Grâce à ses grands intendants Tourny et Dupré de Saint-Maur, elle se dote d'un patrimoine architectural prestigieux. Avec son Académie, d'une part, et son Grand Théâtre, d'autre part, la ville développe une intense activité intellectuelle. Cité de Montaigne au XVIe siècle, elle se veut, au XVIIIe, celle de Montesquieu, très parisien cependant, comme le sera aussi Mauriac. Les guerres révolutionnaires et impériales ruinent le commerce de Bordeaux. En revanche, grâce à la modération de Tallien, la ville et la région souffrent beaucoup moins de la Terreur que Lyon ou Nantes. Bordeaux est néanmoins au cœur de la révolte fédéraliste contre les montagnards, et ses députés, tel Vergniaud, comptent parmi les martyrs de la cause girondine.