cuissage (droit de),
appelé aussi « droit du seigneur », droit qui aurait permis à celui-ci de passer la nuit de noces avec la mariée, en cas d'union entre serfs.
Il est l'une des composantes de l'imaginaire français de l'oppression, élément d'un savoir commun si bien implanté qu'on le rencontre encore parfois sous la plume de certains historiens éminents. Cependant, il n'a aucune réalité autre que discursive, ainsi que l'a montré Alain Boureau dans son Droit de cuissage (1995), au sous-titre explicite : la Fabrication d'un mythe.
Sur les soixante-douze preuves réunies par Jules Delpit en faveur de l'existence du droit de cuissage, dans un ouvrage publié en 1857, cinq seulement peuvent se référer à un éventuel droit médiéval. La première apparition de l'expression - dans un fragment de cartulaire de l'abbaye du Mont-Saint-Michel - date de 1247. Cet extrait comporte une série de 235 vers énumérant les redevances et les corvées dues par les vilains du village de Verson. Il s'agit, en fait, d'un texte de propagande monastique dirigé contre les menées du vicomte Osbert de Fontenay-le-Pesnel, qui tente de faire passer la communauté villageoise sous sa domination. Le cullage (droit que le serf doit payer pour marier sa fille hors des terres de son seigneur) est rapporté à un usage ancien et monstrueux : « Sire, je vous le dis par ma foi, il arrivait jadis que le vilain prît sa fille par la main et la livrât à son seigneur pour qu'il en fasse à sa volonté, à moins qu'il ne lui eût donné une rente, ou bien un héritage pour consentir au mariage. » Ce mythe d'origine de la seule redevance personnelle payée par les vilains de Verson introduit une condamnation morale du seigneur laïc, dont l'image est ramenée à un tyran ancestral. Le droit de cuissage est donc inventé dans un but polémique. Les quatre autres mentions médiévales figurent dans des aveux ou dénombrements féodaux (entre 1419 et 1538). Dans ces écrits, le seigneur dresse la liste de ses droits, qui doit être vérifiée et enregistrée par la cour du suzerain. Or le vassal a souvent tendance à exagérer ses prétentions, dans des textes qui constituent des éléments de négociation. Toutefois, c'est par ce biais que le droit de cuissage entre dans la tradition juridique royale : on le cite fréquemment, à partir du milieu du XVIe siècle, comme exemple de la mauvaise coutume.
Il rencontre également le succès dans le domaine littéraire. Déjà présent dans les Cent nouvelles nouvelles (Bourgogne, vers 1462), il connaît son plein essor au siècle des Lumières, notamment au théâtre. Beaumarchais, dans le Mariage de Figaro (1784), lui donne ses lettres de noblesse. Dans ce courant qui utilise la sexualité comme moyen heuristique pour comprendre ou dénoncer le politique, le droit de cuissage est l'emblème du despotisme. Mais c'est entre 1854 et 1881 qu'il occupe le devant de la scène. Une polémique éclate entre Charles Dupin, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, partisan de son existence, et Louis Veuillot, porte-drapeau du « parti de Dieu », farouchement opposé à cette idée : l'enjeu est l'image du Moyen Âge, alors disputée entre libéraux et conservateurs catholiques. La parution, en 1881, du travail scientifique du juriste alsacien Karl Schmidt peut être retenue pour marquer la fin de cette longue querelle. Le droit de cuissage et, plus largement, le Moyen Âge quittent alors le champ idéologique pour entrer dans l'ordre historique.
Curie (Marie et Pierre),
physiciens (Marie : Varsovie 1867 - Sancellemoz, près de Sallanches, 1934 ; Pierre : Paris 1859 - id. 1906). Leurs travaux - pour lesquels ils ont reçu le prix Nobel - ont joué un rôle fondamental dans la découverte et l'étude de la radioactivité.
Une rencontre.
• Née Maria Sklodowska, Marie Curie est, dès son plus jeune âge, une brillante élève à laquelle sa Pologne natale offre peu de perspectives : le tsar règne sur Varsovie, l'accès à l'Université reste interdit aux femmes. Défiant l'occupant russe, elle fréquente l'« université volante », structure clandestine qui dispense des cours - essentiellement à des femmes -, tout en attisant la flamme patriotique des étudiants. Après avoir accepté un poste de préceptrice dans une famille noble, elle prend le train pour Paris, à la fin de l'année 1891. Inscrite à la Sorbonne, elle y suit les cours de quelques maîtres illustres : les mathématiciens Henri Poincaré et Paul Appell, le promoteur de la photographie en couleurs Gabriel Lippmann, le physicien Joseph Boussinesq. Elle dira de cette période : « C'était comme un monde nouveau qui s'offrait à moi, un monde de science que je pouvais enfin connaître en toute liberté. » Une infime minorité de femmes fréquente alors la Sorbonne, et leur cursus universitaire ne dépasse que très exceptionnellement la licence. Après avoir obtenu une licence de mathématiques (1893) et une licence de physique (1894), Maria Sklodowska rencontre un professeur de l'École de physique et de chimie de Paris, Pierre Curie. Ce jeune chercheur, déjà auréolé d'une réputation flatteuse, a reçu une éducation anticonformiste qui a su éveiller très tôt sa curiosité. Fils d'un médecin farouchement républicain et ancien communard, il n'a pas été inscrit à l'école, et a pu à loisir, en compagnie de son frère Jacques, développer son intelligence à son propre rythme. En 1880, les deux frères ont découvert la piézoélectricité (certains cristaux produisent un courant lorsqu'ils sont soumis à une pression) ; ce phénomène les a amenés à inventer un instrument de mesure nommé « quartz piézoélectrique ». Cinq ans plus tard, Pierre s'est illustré par ses travaux sur la physique des cristaux. Féru de recherche scientifique, il s'est promis de rester célibataire et de consacrer toute son énergie à ses recherches. Mais la rencontre de Maria le fait changer d'avis. Il dissuade la jeune femme de rentrer dans son pays natal, et l'épouse le 26 juillet 1895.
En route vers le Nobel.
• Une collaboration remarquablement féconde s'amorce alors, favorisée par la complémentarité des modes d'approche et par le soutien moral que les conjoints apporteront l'un à l'autre dans les circonstances difficiles. Abandonnant ses propres études sur les cristaux, Pierre conjugue ses efforts à ceux de Marie, qui a choisi les rayons uraniques comme sujet de doctorat. Naturellement, Marie a entendu parler des travaux d'Henri Becquerel : en 1896, le savant a observé que certains minerais contenant de l'uranium présentent la propriété d'émettre un rayonnement doué de caractères communs avec les rayons X. En l'espace d'une année, et malgré des conditions de travail peu propices, Pierre et Marie Curie parviennent à des résultats considérables : en juillet et décembre 1898, du minerai d'uranium ils extraient deux éléments beaucoup plus actifs que celui-ci, le polonium - ainsi nommé en hommage au pays natal de Marie - et le radium. Marie soutient sa thèse en 1903. Lorsque le nom de Pierre Curie est proposé au comité Nobel, pour la découverte de la radioactivité, Pierre écrit à l'Académie des sciences suédoise, et fait état du rôle essentiel joué par sa femme dans ses recherches. Le prix Nobel de physique est décerné, conjointement, à Henri Becquerel, Pierre et Marie Curie. La même année, une chaire est créée à la Sorbonne pour Pierre Curie. Commence alors pour le couple, devenu célèbre, une vie exposée à la curiosité journalistique ; la presse française se passionne pour cette « idylle de laboratoire », au point que Marie écrit, dans une lettre à sa famille : « On voudrait se cacher sous terre pour avoir la paix. » Professeur à l'École normale supérieure de Sèvres, Marie doit combiner ses tâches d'enseignement avec ses attributions de mère, qu'elle prend particulièrement à cœur : après la naissance d'Irène, en 1897, une seconde fille, Ève, voit le jour en 1904. Mais, en 1906, Pierre est renversé par un camion, et meurt sur le coup. Profondément ébranlée, Marie se remet difficilement de la perte de son époux.