Durant la décennie révolutionnaire (1789-1799), les gouvernements successifs imposent progressivement différentes fêtes, qui visent, par leur caractère symbolique et commémoratif, à fixer un nouveau système de valeurs. Tandis que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen devient un objet rituel, ces fêtes opèrent un « transfert de sacralité » (Mona Ozouf) au profit du politique, du social et, finalement, de l'être humain.
Le rêve d'unanimité.
• Sous la monarchie constitutionnelle (1789-1792), la tradition et la fête populaire spontanée dominent. De nouveaux symboles apparaissent - arbres de la liberté ou autels de la patrie, nés des fédérations de 1789-1790. Les fêtes officielles, qui intègrent ces innovations, gardent toutefois un caractère religieux : ainsi la cérémonie en l'honneur des morts de la Bastille (1789), l'inhumation de Mirabeau et le transfert des cendres de Voltaire au très laïque Panthéon (1791), mais aussi la fête de la Fédération (14 juillet 1790), première des grandes fêtes annuelles, où une messe en plein air précède la prestation du serment civique. Cependant, l'unanimité recherchée est un échec comme le montre la fête organisée, le 15 avril 1792, par les jacobins en l'honneur des suisses de Châteauvieux - véritable glorification de l'émeute -, à laquelle les feuillants répliquent, le 3 juin suivant, en célébrant Simoneau, maire d'Étampes, tué lors d'une émeute de subsistances.
Exalter les temps nouveaux.
• La chute de la monarchie (10 août 1792) et la proclamation de la République ouvrent l'ère des grandes fêtes nationales qui, placées sous le signe de la rupture et de la régénération, canonisent les événements fondateurs de l'ordre nouveau. Ainsi, la fête de l'Unité et de l'Indivisibilité (10 août 1793) prend la forme d'un long cortège qui traverse Paris, depuis la fontaine de la Régénération, à la Bastille, jusqu'au Champ-de-Mars, où l'on prête serment, en passant par la place de la Révolution, où l'on brûle au pied de la statue de la Liberté les symboles monarchiques et féodaux. La fête populaire reprend toutefois le dessus lors de l'hiver 1793-1794, avec les célébrations des martyrs de la liberté et les mascarades de la déchristianisation, dont la fête de la Raison, organisée le 10 novembre 1793 par la Commune de Paris, marque l'apogée.
Fêtes commémoratives et fêtes morales.
• À ces manifestations plus ou moins débridées, la Convention nationale répond par le décret du 18 floréal an II (7 mai 1794), qui marque un tournant important en instituant, en même temps que le culte de l'Être suprême, quatre fêtes nationales commémoratives - 14 juillet, 10 août, 21 janvier (exécution de Louis XVI) et 31 mai (chute des girondins) -, ainsi que trente-six fêtes morales et civiques. Ces dernières sont dédiées, entre autres, au genre humain, aux bienfaiteurs de l'humanité, aux martyrs de la liberté, à la liberté, l'égalité, la vérité, la justice, l'amitié, l'amour conjugal... Leur organisation est confiée au Comité d'instruction publique. La fête de l'Être suprême (8 juin 1794) marque alors l'apogée des grandes scénographies parisiennes, orchestrées par le peintre David, où le cortège populaire, ordonnancé selon les âges et les sexes, donne l'image d'une fête assagie et grave promouvant la nouvelle harmonie sociale.
Ce système pédagogique, élaboré en l'an II, demeure la préoccupation majeure de la Convention thermidorienne et du Directoire. La loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) sur l'instruction publique institue ainsi sept grandes fêtes commémoratives et morales - République (22 septembre), jeunesse, époux, reconnaissance, agriculture, liberté (9 et 10 thermidor), vieillards -, auxquelles s'ajoutent par la suite, au gré de la lutte contre les royalistes, les commémorations des 21 janvier, 14 juillet, 10 août et 18 fructidor (coup d'État). Mais ces fêtes, tendant à l'uniformisation, deviennent routinières et leur succès décline. Le Consulat ne conserve que les dates du 14 juillet et du 22 septembre, supplantées sous l'Empire par la « Saint-Napoléon » (15 août) et l'anniversaire du sacre (2 décembre).
Sans cesse bouleversée, la fête révolutionnaire ne parvient pas à s'imposer, surtout dans les campagnes, où les paysans continuent de respecter l'arrêt dominical et de célébrer les fêtes traditionnelles, mais la symbolique renaît sans peine tout au long du XIXe siècle.