droits seigneuriaux, (suite)
À partir du XIe siècle, de nouvelles taxes viennent s'ajouter à celles-ci. Leur originalité est double : elles débordent le cadre traditionnel du domaine et sont imposées à l'ensemble de la population d'un ressort territorial, en règle générale beaucoup plus vaste que le territoire domanial ; elles ont un caractère fréquemment arbitraire, et sont exigées par la violence.
Leur apparition s'accompagne d'un transfert massif de la propriété des terres vers les détenteurs du ban : les paysans alleutiers, c'est-à-dire libres propriétaires de leur exploitation, qui constituaient vraisemblablement la majeure partie de la population paysanne jusqu'au XIe siècle, se voient contraints de vendre leurs terres à vil prix - voire de les donner - au détenteur du ban, qui les leur rétrocède en tenures grevées de charges. Le seigneur, parce qu'il détient la force, devient finalement l'unique propriétaire du sol à l'intérieur de sa seigneurie.
C'est la dislocation générale de la puissance publique - elle culmine dans le premier tiers du XIe siècle - qui a rendu possibles ces exactions. Ayant parfois bénéficié de délégations de la puissance publique, les seigneurs réclament pour eux des prestations autrefois requises pour le seul souverain. Le plus souvent, les surprélèvements (appelés fréquemment les « mauvaises coutumes ») ne sont que la traduction matérielle de leur force militaire, qui s'exerce aux dépens des paysans. Les redevances sont innombrables ; les plus fameuses portent des noms évocateurs : par exemple, « tolte » ou « taille », du verbe latin tollere, qui signifie « ôter », « enlever ». En Catalogne, au XIe siècle, le simple fait de prélever une taxe se dit facere forcia, « faire violence ».
Font également partie intégrante de ces droits des monopoles économiques liés à la possession d'équipements lourds et coûteux - le four et le moulin banaux. Le seigneur confisque ceux qui existent et interdit d'en construire de nouveaux. Il contraint ainsi les paysans à se servir des siens - un service qui n'est pas gratuit. À partir du XIIe siècle, les paysans peuvent s'abonner à la plupart de ces charges. C'est encore l'occasion d'un surprélèvement pour le seigneur qui vend très cher cet abonnement, ce qui lui permet de réaliser son capital et de s'assurer d'une rente. Les communautés doivent alors s'endetter.
Les seigneurs prélèvent tout ce qui n'est pas indispensable à la simple survie des paysans et à la reproduction de leur force de travail. Ils ont recours, pour se faire obéir, aux services de spécialistes de la guerre, les chevaliers. Ceux-ci font régner sur la paysannerie une véritable terreur qui lui ôte toute velléité de résistance.
Les droits seigneuriaux ont été appelés par les juristes de l'époque moderne « droits féodaux », même si la féodalité n'était plus qu'un souvenir. Leur caractère arbitraire les a rendus d'autant plus odieux qu'ils entravaient la vie économique. Les droits seigneuriaux plus symboliques - le monopole de la chasse ou le droit de justice - furent également de moins en moins acceptés par les non-privilégiés au XVIIIe siècle. La célèbre nuit du 4 août 1789 sera l'aboutissement de cette contestation antiféodale.