Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
F

francophonie, (suite)

Progrès et ambiguïtés.

• Le terrain associatif a devancé les initiatives officielles : dès 1952 se crée l'Association internationale des journalistes de presse de langue française ; en 1961 voit le jour l'Association des universités partiellement ou uniquement de langue française, qui regroupe quelque 150 établissements et 400 départements de français. Mais c'est seulement après le départ du président de Gaulle que la francophonie s'organise lentement sur le plan institutionnel : en 1971 est mise en place l'Agence de coopération culturelle et technique, axée sur les problèmes de formation. Puis, au milieu des années 1980, les obstacles verrouillant le processus sont quasiment levés. À cette date, la brouille canado-québécoise prend fin, les Africains se montrent soucieux de trouver de nouveaux espaces de coopération, et François Mitterrand est déterminé à s'engager en faveur de la francophonie. Le premier sommet est organisé à Paris en 1986. D'autres suivront, à Montréal en 1987, à Dakar en 1989. La francophonie s'y affirme comme un nouvel espace de solidarité, dans lequel le Canada joue un rôle grandissant : en 1987, le Premier ministre canadien profite du sommet pour annoncer l'effacement de la dette des pays africains. François Mitterrand lui répondra, deux ans plus tard, en exprimant solennellement son vœu d'effacer la créance française d'aide publique au développement en Afrique. Cependant, la francophonie ne se limite pas à des symboles et à des déclarations spectaculaires. De nouvelles institutions sont constituées, tels le Comité international de préparation des sommets, ou le Comité international de suivi, ainsi qu'un certain nombre de commissions, le tout reposant sur le travail de base des nombreuses associations.

Des écueils guettent pourtant la francophonie : l'accusation de néocolonialisme subsiste au sein de certaines élites africaines ; le risque de banalisation qui en ferait un organisme d'aide au tiers-monde est évoqué ; la recomposition de l'Europe de l'Est fait concurrence aux États du Sud ; les grands-messes des sommets apparaissent comme des gaspillages financiers. Cependant, des réussites, dont la reconnaissance récente des littératures francophones, couronnent ce long processus. En remettant des prix littéraires à des écrivains tels que Antoine Maillet (Canada), Tahar Ben Jelloun (Maroc), Patrick Chamoiseau (Antilles) ou Amin Maalouf (Liban), qui ont su reconstituer un espace littéraire plus grand et plus riche, la France rompt avec une longue tradition jacobine de centralité, de supériorité, de fixité et d'unicité de la langue française.

franco-russe (alliance),

rapprochement financier et politique entre la France et la Russie, qui rompent ainsi, à partir de 1891, leur isolement dans une Europe dominée par l'Allemagne. Cette alliance demeure en vigueur jusqu'en 1917.

Tout semble séparer la Russie tsariste et la France républicaine : le régime autocratique du tsar et la démocratie parlementaire paraissent inconciliables ; Alexandre III, couronné en 1881, est germanophile et antirépublicain, et de Giers, chef de sa diplomatie, voit dans la France une « nation peu sûre, avide de revanche ». Mais la Russie a besoin de capitaux pour se moderniser. Et quand le chancelier allemand Bismarck quitte le pouvoir, en 1890, Berlin favorise Vienne contre Saint-Pétersbourg. Or, la France cherche des alliés, et a des capitaux à placer. Sans frontière commune, les deux pays ont peu de raisons de rentrer en conflit.

Sadi Carnot, le président de la République, ainsi que Freycinet, ministre de la Guerre de 1888 à 1893 et président du Conseil de 1890 à 1892, s'emploient à ce rapprochement. Des armes sont vendues ; un premier emprunt est placé. En juillet 1891, l'escadre de l'Atlantique est accueillie à Cronstadt, et le tsar y écoute la Marseillaise, pourtant réputée subversive. Le 27 août, un accord est conclu, précisant que « la France et la Russie se concerteront sur toutes les questions de nature à mettre la paix générale en cause ». Aucune convention militaire n'étant signée, ce n'est donc pas encore l'alliance de revers que recherche pourtant la France pour rompre son isolement face à la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). Toutefois, en octobre 1893, trois navires de guerre russes sont à Toulon, puis les marins visitent Paris. Berlin s'en irrite, pendant que les Français fêtent leurs invités, croyant l'alliance signée. Celle-ci l'est effectivement le 4 janvier 1894, mais le tsar veut qu'elle reste secrète, tout en soulignant l'entente qui règne désormais entre la Russie et la France : en 1896, il se rend à Paris en visite officielle - la première qu'effectue un monarque sur le sol français depuis 1870, excepté le chah de Perse. La « russomania » est alors à son comble, et le tsar est impressionné par la chaleur de l'accueil qu'on lui réserve. Pour le Journal de Genève, cette visite est « l'événement le plus important advenu depuis 1870 » : la France a enfin un allié puissant face à l'Allemagne.

L'alliance ne devient officielle qu'en 1897, quand le président Félix Faure se rend à Saint-Pétersbourg, mais les termes exacts n'en seront connus qu'en 1917, quand les bolcheviks la dénonceront. Cette alliance n'est pas sans nuages : les ambitions balkaniques russes inquiètent Paris ; Saint-Pétersbourg se plaint de prêts subordonnés à des commandes de matériel français, et de la volonté de contrôle sur les entreprises financées. Néanmoins l'alliance perdure (il en reste aujourd'hui de nombreuses traces symboliques, du pont Alexandre III, à Paris, aux entremets Francorusses). Pour la resserrer, alors que les tensions avec l'Allemagne s'aggravent, Raymond Poincaré se rend par deux fois à Saint-Pétersbourg, en tant que président du Conseil en 1912, puis, une fois devenu président de la République, en juillet 1914. Combinée à l'alliance russo-serbe (mais aussi à l'antagonisme serbo-autrichien et à l'entente austro-allemande...), l'alliance franco-russe est l'un des rouages fondamentaux de l'engrenage qui devait entraîner le déclenchement de la Première Guerre mondiale.