Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Charlemagne. (suite)

Un équilibre fragile

Conquérant, visionnaire, organisateur (on a envie de dire « ordonnateur », tant l'obsession de l'ordre est patente dans toute son œuvre politique), législateur dans les domaines de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, promoteur de ce qu'on appelle la renaissance culturelle carolingienne, maître de (presque) tout l'Occident chrétien et restaurateur de l'Empire : l'épithète de magnus que la tradition a donnée à Carolus ne paraît décidément pas usurpée, et c'est avec de bonnes raisons qu'on le considère aujourd'hui comme le père (politique autant que culturel) de l'Europe. Mais, si la légende s'est aussi volontiers emparée de la figure de Charlemagne, c'est que son règne marque un point d'équilibre particulièrement éphémère dans l'histoire des sociétés occidentales. En effet, dès la fin de celui-ci, deux événements laissent présager un sombre avenir. D'une part, l'apparition sur les côtes de l'Empire (en Vendée dès 799, puis en Frise en 810) des premières voiles scandinaves, annonciatrices du déferlement des raids vikings sur l'ensemble de l'Occident dans les décennies suivantes. D'autre part, le projet de partage de l'Empire établi en 806 entre les trois fils légitimes survivants de Charles : Charles le Jeune, Pépin et Louis, associés depuis longtemps à la royauté, mais qui désormais se voient attribuer un tiers de l'héritage paternel. Ce projet implique le risque de faire éclater, dès la mort de son fondateur, l'unité de l'Empire si péniblement réalisée. Seule la mort précoce des deux premiers fils permettra à Louis, désormais unique héritier, d'être associé en 813 à la dignité impériale de son père, juste avant la mort de celui-ci, au début de 814.

Mais, quand Louis compromettra à son tour son autorité en concevant des projets de partage successifs et contradictoires entre ses propres héritiers, quand une guerre fratricide déchirera la société franque, les aristocrates, que Charles avait encouragés à confondre le service public dû au détenteur de la puissance souveraine et le service privé dû à la personne du roi, seront tentés, confrontés à la défaillance de celle-ci, de lui refuser le service public et d'usurper les charges exercées en son nom. Large de vue et fondatrice, la politique de Charles ne fut pas sans responsabilité dans l'éclosion, à terme, de ce que l'on convient d'appeler la féodalité.

Charles Martel,

maire du palais (688 - Quierzy, aujourd'hui dans l'Aisne, 741).

Fils bâtard du maire du palais Pépin de Herstal et de sa concubine Alpaïde, Charles Martel appartient à la puissante famille des Pippinides. En 714, cette dernière traverse une crise provoquée par Pépin de Herstal, qui, à l'instigation de sa femme Plectrude, désigne pour héritier son petit-fils, un enfant de 6 ans. Sitôt Pépin mort, en 714, Charles est emprisonné, mais Plectrude ne peut faire face à la révolte des grands de Neustrie menés par Ragenfred. Évadé de sa prison, Charles entraîne à sa suite les Austrasiens, qui sont vainqueurs des Neustriens à Amblève, en 716, et à Vincy, en 717. Il lui faudra encore deux ans pour parfaire sa victoire en soumettant les Saxons, alliés des Neustriens, puis Ragenfred et le duc Eudes d'Aquitaine. Charles devient alors, en 719, le maire du palais du dernier roi mérovingien, Thierry IV, souverain privé de pouvoir effectif.

Ses premières années annoncent les grands traits de son œuvre : union des Francs, lutte contre les peuples germaniques, conquête du Midi. Dans le Nord, en effet, Charles s'assure de la fidélité des Neustriens aussi bien que des Austrasiens en leur attribuant des bénéfices ecclésiastiques et des terres que, soucieux de ne pas dilapider son propre patrimoine, il a confisquées aux églises. Il est le premier des chefs francs à comprendre que la paix avec les remuants voisins germaniques passe non seulement par des campagnes militaires - nombreuses -, mais aussi par la christianisation. Aussi encourage-t-il les missions d'évangélisation de Willibrord, fondateur de l'évêché d'Utrecht, et de Boniface en Frise, en leur apportant le soutien des armes.

Si Charles Martel est demeuré dans la mémoire collective celui qui « vainquit les Arabes à Poitiers en 732 », il est surtout celui qui soumit à nouveau le Midi au pouvoir franc. En effet, le duc Eudes d'Aquitaine, débordé par une razzia conduite par le gouverneur de l'Espagne musulmane, Abd ar-Rahman, fit appel à Charles, qui arrêta l'incursion au nord de Poitiers, peut-être le 25 octobre 732. Sous ce prétexte, il interviendra dans la vallée du Rhône en 737, puis en 739, à nouveau en Provence, avec l'aide des Lombards d'Italie. L'immense prestige acquis dans la lutte contre les Sarrasins permet à Charles Martel, à la mort de Thierry IV, en 737, de ne pas lui désigner de successeur.

À sa mort, Charles Martel est, selon son vœu, enterré à l'abbaye de Saint-Denis, aux côtés des rois mérovingiens, dont il a orchestré la fin, préparant ainsi l'entrée en scène de ses fils Carloman Ier et Pépin le Bref, le fondateur de la dynastie carolingienne.

Charles II le Chauve,

roi de Francie occidentale de 843 à 877 ; empereur de 875 à 877 (Francfort-sur-le-Main 823 - Avrieux, Savoie, 877).

Lorsqu'en 819 l'empereur Louis le Pieux, fils et unique héritier de Charlemagne, épouse, en secondes noces, Judith, fille d'un seigneur bavarois, il vient de régler sa succession entre les trois fils issus de son précédent mariage par l'ordinatio imperii de 817. La naissance de Charles le Chauve, en 823, remet en cause ces dispositions, qui subordonnaient à Lothaire, empereur, ses deux frères, Pépin Ier, roi d'Aquitaine, et Louis le Germanique, roi de Bavière.

Une succession disputée.

• Le parti de Lothaire, avec les clercs théoriciens de l'idée impériale, affronte alors celui de Judith. En 829, celle-ci obtient, pour son fils, un premier territoire, qui comprend l'Alémanie, l'Alsace, la Rhétie et une partie de la Bourgogne. Au fil des années, la part de Charles s'agrandit, et la disgrâce de Lothaire s'aggrave. Le conflit est si profond qu'en 833 Lothaire et ses frères déposent leur père au « Champ du mensonge ». À leur tour, ils sont vaincusl'année suivante, et Louis le Pieux retrouve son trône. En 838, l'Aquitaine est attribuée à Charles, au mépris des droits de Pépin II. Un dernier partage, à Worms, en 839, bénéficie à Charles et à Lothaire, Louis le Germanique ne conservant que la Bavière.