Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
V

Vichy (régime de). (suite)

L'ambition de Vichy ne s'arrête pas à la réforme des programmes scolaires, mais vise à forger un « homme nouveau ». À cet effet, dès l'été 1940, sont constitués les Chantiers de la jeunesse. Voulus et encadrés par l'armée (qui s'inquiète, après l'armistice, de perdre tout contact avec les jeunes Français), ils sont confinés à la zone sud, en raison de l'hostilité des Allemands. Situés le plus souvent dans des régions retirées, ils doivent inculquer aux jeunes gens, qui y effectuent un séjour de huit mois (obligatoire à partir de janvier 1941), les valeurs de la « révolution nationale », et d'abord le culte du Maréchal, tout en leur donnant une discrète formation paramilitaire dans la perspective d'une « revanche ». Dans le même esprit, sont créées des « écoles de cadres » qui ont pour but de former les futurs dirigeants des mouvements de jeunesse, que Vichy s'emploie par ailleurs à subventionner abondamment. La plus célèbre de ces écoles, celle d'Uriage, résume à elle seule la tentative pétainiste, sa dérive et son échec final. Dirigée par le capitaine Dunoyer de Segonzac, elle se conçoit comme le lieu de formation d'une nouvelle élite. Exaltant l'esprit communautaire, les « chevaliers d'Uriage », quoiqu'à l'origine fermement pétainistes, demeurent ouverts à diverses influences, dont celle du personnalisme (Emmanuel Mounier leur donne plusieurs conférences). À partir de 1942, l'école prend ses distances avec le régime, au point que Laval en décrète la fermeture en décembre 1942. Une partie de ses cadres entre alors dans la Résistance et forme les « équipes volantes » du maquis du Vercors.

Le régime de Vichy s'engage également dans la voie d'une ambitieuse politique familiale et populationniste, teintée de moralisme. Un ministère de la Famille est créé en 1940 et distribue force allocations aux familles nombreuses. Le régime exalte la mère et, à travers elle, le modèle traditionnel de la famille. Le divorce est rendu plus difficile et l'avortement est désormais passible de la peine de mort. Ici encore, les ambitions du régime buttent sur la réalité. Le projet d'interdire aux femmes mariées de travailler ne peut être appliqué, tant en raison de l'impossibilité de remplacer les femmes employées, par exemple dans les administrations, que des insondables difficultés financières devant lesquelles se retrouveraient celles dont le mari est retenu prisonnier.

La volonté de « purifier » la société française de ses éléments « étrangers » conduit à la mise en œuvre de politiques d'exclusion. L'administration et le personnel politique local font l'objet de sévères épurations. Dès août 1940, est promulguée une loi portant dissolution des « sociétés secrètes », vocable derrière lequel se dissimulent des persécutions antimaçonniques. Nombre d'étrangers sont parqués dans des camps et plus de 20 000 personnes (principalement des juifs d'Europe centrale) perdent la nationalité française qu'elles ont acquise durant l'entre-deux-guerres. Précisément, les juifs sont les premières victimes de cette politique. L'antisémitisme de Vichy est spontané, au sens où il n'est pas, au début, imposé par les Allemands. Il est fondé sur une logique d'exclusion : le juif étant accusé de dissoudre la nation française, il importe de le mettre hors d'état de nuire. Les juifs étrangers sont internés dans des camps (à Gurs, à Rivesaltes...) ; quant aux juifs français, ils font l'objet de deux statuts (octobre 1940, et juin 1941) qui définissent juridiquement leur qualité et organisent leur exclusion de la société. Diverses professions relevant de la fonction publique leur sont interdites (police, armée, justice, enseignement) et d'autres (comme les professions libérales) sont soumises à de stricts numerus clausus. Si cet antisémitisme n'est pas exterminateur dans son fondement, le piège de la collaboration avec l'occupant conduit le régime de Vichy à se faire le complice actif du génocide nazi. Non seulement le gouvernement ne s'oppose pas aux mesures antisémites radicales que les Allemands imposent en zone nord dès 1940, mais, à l'été 1942 et en janvier 1943, il offre le concours de la police française aux Allemands qui organisent de grandes rafles. On estime à 300 000 le nombre de juifs, français ou étrangers, qui vivaient en France en 1939. De 1940 à 1944, plus de 75 000 d'entre eux furent déportés, parmi lesquels seuls 2 500 survécurent.

L'évolution du régime

L'histoire de Vichy est faite d'un singulier mélange de continuités (ainsi le choix de la collaboration, engagé à Montoire en 1940 et jamais démenti) et d'inflexions sensibles. L'évolution du régime va dans le sens de l'abandon progressif des rêves de la « révolution nationale » au profit d'une politique de plus en plus répressive. Parallèlement, Vichy perd le peu d'autonomie qu'il possédait vis-à-vis de l'Allemagne, alors que la faction la plus proche du fascisme ne cesse de gagner en influence.

En décembre 1940, le renvoi de Laval pour incompatibilité d'humeur et divergence de vues avec le Maréchal sur les questions africaines conduit à la promotion de l'amiral Darlan. Sur le plan extérieur, celui-ci ne fait qu'accentuer la politique collaboratrice et signe, en mai 1941, les « protocoles de Paris », qui prévoient notamment l'apport d'un soutien logistique aux Allemands en Syrie et en Afrique du Nord, en échange du droit de renforcer l'armée française en Afrique du Nord et de la libération de plusieurs milliers de prisonniers de guerre. Sur le plan intérieur, en revanche, l'inflexion est sensible. Officiellement, l'amiral poursuit la mise en œuvre de la « révolution nationale », à laquelle il ne croit guère et qu'il juge passéiste. Mais la véritable ambition de Darlan et de son équipe est ailleurs. S'entourant de jeunes technocrates gagnés aux idées dirigistes (Jean Bichelonne à la Production industrielle, Yves Bouthillier aux Finances), il projette de moderniser l'économie française sous la houlette de l'État. Les comités d'organisation, mis en place dès l'été 1940 dans le but de gérer la pénurie, et complétés par la création de préfectures économiques régionales, deviennent, sous Darlan, les instruments d'une véritable politique dirigiste (répartition autoritaire de la main-d'œuvre et des matières premières, fixation de quotas de production, propositions de prix). En 1941, l'équipe de Darlan crée un Service national de statistique, afin de combler le retard que la France a accumulé dans ce domaine, une Fondation pour l'étude des problèmes humains (confiée à Alexis Carrel) afin de soutenir la politique populationniste et, surtout, une Délégation générale à l'économie nationale. Dirigée par François Lehideux, celle-ci jette les bases de la planification et élabore un « Plan de dix ans », dont Jean Monnet reprendra l'épure. Même si cette politique demeure prisonnière de ses fondements (il s'agit, d'abord, en rationalisant l'économie, d'accentuer la collaboration), certaines des structures mises en place par Vichy seront conservées à la Libération.