Marianne,
nom familier attribué à la femme, le plus souvent coiffée d'un bonnet phrygien, qui sert d'allégorie à la République française.
Une effigie omniprésente.
• À l'époque monarchique, la France, comme tous les pays au régime similaire, utilisait l'image du roi pour représenter l'État - sur les pièces de monnaie, par exemple. L'instauration d'un régime républicain l'a amenée à figurer l'État par une abstraction visualisée : la République, inspirée par la Liberté, comme le bonnet phrygien (ou bonnet de liberté) l'atteste. Quant à la raison de la vieille convention qui donne aux idées abstraites une traduction anthropomorphique - généralement féminine -, elle n'est ni une idée française ni une invention de la Révolution. Il semble pourtant que la République en images soit plus répandue en France qu'en toute autre nation, comme si cette omniprésence avait quelque lien avec le caractère passionné de l'histoire politique française : établie en 1792, la République, en effet, sera trois fois renversée, et autant de fois rétablie, et il faudra une centaine d'années avant que ne s'établisse le consensus républicain actuel. Durant le long siècle où s'opposent partisans enthousiastes et détracteurs haineux, imposer partout l'image de la République est une manière de se battre pour elle. C'est pourquoi, sans doute, on trouve la femme à bonnet phrygien non seulement là où elle a sa place officielle, sur le sceau de l'État, les timbres-poste, la monnaie - mais également sur de nombreux supports, aussi variés que facultatifs : statues de places publiques, bibelots d'intérieur, bustes aux murs des mairies et autres bâtiments publics, sans oublier les « Républiques » embellies ou caricaturées des dessinateurs de presse.
Usages militants.
• Est-ce cette forte charge de passion et même d'affectivité qui est à l'origine du surcroît de familiarité impliqué par le nom « Marianne » ? Sans doute, car il est commode de personnifier une entité que l'on vénère ou que l'on déteste en l'appelant par un prénom, à l'instar d'une nouvelle « sainte » à invoquer ou d'une « garce » à injurier.
Pour s'en tenir aux faits, le document le plus ancien dans lequel le nom « Marianne » est employé pour désigner la France en Révolution est une chanson patriotique, datée de novembre 1792, écrite en occitan par le cordonnier jacobin Guillaume Lavabre, de Puylaurens, dans le Tarn. La Garisou de Marianno (« la Guérison de Marianne ») dit : « Depuis le 10 août elle se sent mieux, cette bonne saignée l'a soulagée [...]. » L'obscur Lavabre n'ayant laissé ni mémoires ni lettres, nul ne saura jamais, en toute rigueur, pour quelle raison il a choisi Marianne, plutôt que Jeannette ou Madelon. L'hypothèse la plus probable est le caractère usuel, populaire et presque archétypique du prénom dans cette région. En revanche, il est établi que l'habitude de désigner la République par « Marianne » s'est très vite imposée dans le Midi. Mais il faudra attendre la fin de la IIe République pour que ce nom accède à la notoriété nationale, du fait de son emploi dans le langage codé des sociétés secrètes républicaines. La célébrité lui est acquise après le coup d'État de 1851 et après le mouvement isolé - et d'autant plus remarqué - des habitants de Trélazé en 1854 : les ouvriers ardoisiers, tous républicains, organisés en une société secrète dite « La Marianne », ont alors marché en armes sur Angers. Naturellement, le nom de « Marianne », qui relève d'une sorte d'argot politique, n'a jamais été substitué à celui de « République », irremplaçable dans le registre officiel et juridique. Vers la fin du XIXe siècle, il s'emploie dans trois types de lexique : celui, fruste et quelque peu résiduel, des républicains d'origine populaire ; celui des monarchistes utilisant la familiarité pour insulter en rabaissant ; enfin, celui des républicains cultivés, qui parlent de « République » dans le discours grave, et de « Marianne » dans le langage de la bonne humeur. De nos jours, en raison du ralliement quasi unanime de la classe politique à la forme républicaine de gouvernement, ces usages du nom plus ou moins militants ne sont plus guère de mise.
Transformations récentes.
• Ces évolutions de langage traduisent des évolutions de fond. Le caractère stable et consensuel des institutions républicaines a produit dans les esprits une association presque automatique de la République française et de la France. De ce fait, les attributions plastiques ou graphiques de la première (le bonnet phrygien, essentiellement) se sont tout naturellement appliquées à l'autre. Bien avant 1900, les caricaturistes français ou étrangers traitant de thèmes de politique extérieure ont utilisé la figure de Marianne pour désigner la France elle-même sur la scène internationale, et non plus pour mettre l'accent sur le caractère républicain de ce pays : l'allégorie s'est ainsi déplacée du plan des antagonismes idéologiques à celui de l'identité nationale ; de conflictuelle, elle est devenue consensuelle. Ce glissement de « Marianne » vers la droite - ou, plutôt, vers le centre - s'est opéré d'autant plus facilement que, du côté de l'extrême gauche révolutionnaire, il y a longtemps qu'on ne représentait plus la Révolution en usant de la forme historique de la femme à bonnet phrygien, mais en empruntant la symbolique du mouvement ouvrier.
Une nouvelle mutation est-elle en cours ? Depuis la Ve République, le gaullisme tend à valoriser la notion d'État et à donner à la symbolique du pouvoir exécutif la primauté sur celle de la démocratie libérale. Jadis, Marianne était entourée de solennité, et les hommes d'État, familiers. Aujourd'hui, c'est le président de la République qu'on entoure de solennité, tandis que Marianne est cantonnée dans le rôle souriant d'identification d'un peuple qui se veut aimable. Ce n'est peut-être pas un hasard si l'innovation de 1969, qui a consisté à modeler les bustes à l'effigie d'une célèbre actrice, a suivi de si près la « gaullisation » de la République.
Marie (André),
homme politique (Honfleur 1897 - Rouen 1974).