Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
S

Scheurer-Kestner (Auguste), (suite)

Tout en développant son entreprise, en publiant ses recherches dans le domaine de la chimie, Scheurer-Kestner a contribué activement au départ du président de la République monarchiste Mac-Mahon (1879) et à l'affermissement du régime républicain. À Jules Méline qui déclarait le 7 décembre 1897 : « Il n'y a pas d'affaire Dreyfus », Scheurer-Kestner, qui avait conclu à l'innocence du capitaine après avoir mené sa propre enquête, répondit : « La justice, elle, se fera, Messieurs... Tôt ou tard, la vérité finit par triompher. »

Schnæbelé (affaire),

banale affaire d'espionnage survenue en avril 1887, qui déclencha une brève mais vive crise dans les rapports franco-allemands et conféra une grande popularité au ministre de la Guerre, le général Boulanger, surnommé dès lors « général Revanche ».

Alsacien d'origine, Guillaume Schnæbelé est affecté comme commissaire spécial à la gare frontière de Pagny-sur-Moselle. Des services allemands mal identifiés le soupçonnent de collecter des renseignements sur le Reichsland et, à l'occasion d'une réunion organisée sous prétexte d'échange d'informations entre collègues, ils s'emparent de lui par la force, près de Novéant (Moselle), le 20 avril 1887. L'incident provoque une émotion considérable en France. La presse, la droite nationaliste, font monter la tension ; les esprits s'échauffent également en Allemagne. Pour le gouvernement Goblet, la guerre paraît imminente. Cet accès de tension n'est en réalité que la cristallisation de plusieurs faits successifs, notamment des incidents frontaliers plus fréquents, le récent triomphe des députés protestataires dans le Reichsland, l'expulsion du député Antoine vers la France le 31 mars.

À partir du 26 avril, le président de la République Jules Grévy entreprend de résoudre pacifiquement la crise. Il obtient l'accord de Bismarck, hostile lui aussi à toute aventure, et qui libère Schnæbelé le 30 avril, non sans avoir profité des circonstances pour faire enfin voter la loi militaire par le Reichstag. Peu actif au cours de la crise, mais cible privilégiée de la presse allemande, le général Boulanger en tire un bénéfice politique, passant pour celui qui a fait reculer Bismarck.

Schneider (Eugène),

industriel et homme politique (Bidestroff, Moselle, 1805 - Paris 1875).

Orphelin sans fortune, Eugène Schneider est employé à la banque du baron Seillière, où il a rejoint son frère aîné Adolphe. Le soutien de cette puissante dynastie d'affaires lui permet de mettre en œuvre ses premiers projets : en 1830, il se voit confier la direction des forges de Bazeilles, dans les Ardennes. En 1836, surtout, les frères Schneider rachètent l'ancienne Fonderie royale du Creusot, où avait été fabriqué le premier rail français, mais qui périclitait. Adolphe et Eugène - puis Eugène seul, après la mort de son aîné, en 1845 - vont faire de cette fabrique traditionnelle l'un des plus vastes établissements industriels du monde. Le moment est propice : la naissance du réseau ferré français suscite un besoin considérable en produits métallurgiques, rails et machines.

À l'imitation des entrepreneurs anglais, Schneider se lance dans la construction de locomotives, qu'il vend à l'ensemble des compagnies de chemin de fer françaises. Il produit également les moteurs des bateaux à vapeur qui naviguent sur la Saône et le Rhône. Soumis à une demande sans cesse plus pressante et talonné à partir de 1860 par la concurrence anglaise, l'industriel mène une politique d'investissement - voire de surinvestissement - ininterrompue, qui fait des établissements du Creusot un immense et moderne complexe industriel : c'est dans ses ateliers qu'est installé en 1836 le premier marteau-pilon, pour lequel il dépose un brevet. Après la signature du traité de commerce franco-anglais (1860), Schneider renouvelle son outillage, augmentant le nombre des hauts-fourneaux, introduisant le procédé Bessemer d'affinage pneumatique de la fonte. Il organise parallèlement la vie sociale de son personnel, construisant des cités ouvrières et mettant en place un système de retraite.

Sous le Second Empire, il est le plus grand industriel français possédant, outre les usines métallurgiques de Saône-et-Loire, les houillères de Montchanin et de la Nièvre et des participations dans les aciéries de Jœuf et les constructions navales de la Gironde. Actif au conseil d'administration du PLM, président du conseil d'administration de la Société générale, il devient régent de la Banque de France, où il inspire notamment la loi de 1857 qui fait de cet établissement le prêteur de dernier ressort, garantissant le bon fonctionnement de l'escompte nécessaire au mouvement des affaires.

Eugène Schneider est également un homme politique - député (1845), ministre de l'Agriculture et du Commerce (janvier-avril 1851) –, qui se rallie à Napoléon III après le coup d'État du 2 décembre 1851. Sous le Second Empire, il exerce la charge de président du Corps législatif (1867-1870) et soutient l'évolution libérale du régime. Mais, après la défaite de Sedan, il renonce à l'action publique pour se consacrer, jusqu'à sa mort, à la direction de ses entreprises.

Schœlcher (Victor),

homme politique, intellectuel et philanthrope républicain dont le nom reste attaché à l'abolition de l'esclavage en 1848 (Paris 1804 - Houilles, Yvelines, 1893).

Fils d'un fabricant de porcelaine alsacien, il hérite de l'entreprise familiale dès 1832 et peut ainsi financer ses activités philanthropiques. Fréquentant les salons des années 1830, où il rencontre George Sand, Berlioz, Liszt, il collabore, en tant que journaliste, à l'Artiste. À la même période, il voyage en Amérique, en Europe et en Orient, et publie ses premiers écrits sur l'esclavage. Devenu dès 1840 partisan de son abolition immédiate, il fustige l'attitude des colons et les préjugés sur l'infériorité de la « race noire ». Revenu du Sénégal après la révolution de février 1848, il rencontre Arago, ministre de la Marine dans le Gouvernement provisoire, et devient sous-secrétaire d'État. Ses propositions conduisent au décret d'abolition du 27 avril 1848. Mais le gouvernement refuse d'exproprier les colons et d'indemniser les anciens esclaves démunis. Ayant démissionné, candidat malheureux à Paris aux législatives qui se déroulent en avril, Schœlcher est élu député de la Martinique et de la Guadeloupe en août. Il siège alors dans les rangs de la Montagne et tente de faire abolir la peine de mort - vainement, puisque des centaines d'insurgés de juin sont fusillés. Opposé au coup d'État du 2 décembre 1851, il doit s'enfuir après avoir échappé à la fusillade au cours de laquelle est tué le député Baudin, sur une barricade du faubourg Saint-Antoine. Caché chez des religieux, déguisé en prêtre, il gagne la Suisse, puis Bruxelles et Londres en janvier. Durant son exil anglais, il rencontre Victor Hugo, rédige à Jersey l'Histoire du crime du 2 Décembre, voyage, et aide d'autres proscrits. Rentré en août 1870 dès les premières défaites, présent à l'Hôtel de Ville le 4 septembre, il devient colonel d'état-major de la Garde nationale, vice-président de la commission des barricades, chef de la légion d'artillerie pendant le siège de Paris. Favorable à une conciliation entre Versailles et la Commune, il déplaît aux deux camps ; il est même emprisonné par les communards. Réélu député de la Martinique (1871), membre de l'Union républicaine (le groupe parlementaire de Gambetta), il devient sénateur inamovible (1875) et défend une politique d'assimilation dans les colonies. Il est enterré au Père-Lachaise le 5 janvier 1894, et des monuments sont érigés à sa mémoire à la Martinique et à la Guadeloupe.