Versailles (château de). (suite)
L'installation de la cour entraîna un changement dans la décoration car Le Brun créa « 'l'allégorie' réelle du règne, légendée en français » (Hélène Himelfarb). Le plafond de la Galerie des glaces racontait l'histoire du règne avec emphase, en présentant les grands événements et les principales décisions politiques, et en célébrant la personnalité de Louis XIV. Le panneau central représente le « roi qui gouverne par lui-même ». Le roi et l'histoire de son règne étaient en effet au centre du programme iconographique, et aussi, de plus en plus nettement derrière Louis XIV, la France elle-même. Le salon de la Guerre, au nord, et celui de la Paix, au sud, sont les extrémités de cette galerie de 73 mètres sur 10, qui s'ouvre sur les parterres par dix-sept fenêtres, tandis que la paroi opposée comporte dix-sept arcades, couvertes de panneaux de verre. Comme l'a remarqué Hélène Himelfarb, cette galerie ne servit que rarement à des mariages ou à des réceptions d'ambassadeurs et « n'était sous l'Ancien Régime qu'un passage public, une salle des pas perdus ». Les bronzes des Fleuves et Rivières de France vinrent orner le parterre d'eau. Des bosquets furent aménagés comme la Salle de bal (1678-1682) ou la Colonnade (1685). Le Potager du roi fut créé pour l'horticulture de pointe.
À la mort de Marie-Thérèse (1683), le roi agrandit son propre appartement, qui, avec celui de sa seconde femme, la marquise de Maintenon, occupait le tour complet de la cour de marbre, mais il abandonnait en même temps les grands salons, qui furent consacrés aux réceptions, le salon de Mars pour les bals parés, celui de Mercure pour le lit, le salon d'Apollon pour le trône. En 1701, la chambre du roi trouva - un peu par hasard - sa place définitive, ouvrant dans l'axe du château, à l'est : elle regardait le soleil se lever (l'historien Ernst Kantorowicz n'a-t-il pas fait remarquer que le symbole du « soleil levant » a traversé les âges depuis l'Antiquité). À côté de la chambre se trouvait le cabinet où se réunissait le Conseil des ministres, et, toujours sur la cour de marbre, la petite galerie rassemblait les plus beaux tableaux des collections royales (dont la Joconde). L'ancienne chambre du roi et le salon des Bassan - ainsi nommé pour les tableaux des Bassano qui l'ornaient - formèrent le salon de l'Œil-de-bœuf, dont la corniche de « jeux d'enfants » montrait une nouvelle orientation esthétique : le roi voulait voir « de l'enfance répandue partout ». Ce salon était précédé de la salle du Grand Couvert, la « salle où le roi mange » comme on disait aussi. Sur la table était déposée la nef, contenant des serviettes pour le roi : en passant devant elle, les courtisans devaient la saluer, comme ils devaient le faire pour le lit royal. Tandis que la dauphine occupait les appartements de la reine, le dauphin, Monseigneur, recevait un logement au-dessous, au rez-de-chaussée du palais. Tous ces appartements comportaient des cabinets intérieurs pour la commodité et la vie privée.
Le Versailles des courtisans et les résidences « secondaires »
Vivre auprès du roi était un honneur. Avec Louis XIV, ce fut, pour les familles de la haute noblesse, une obligation, car le souverain avait vu dans sa jeunesse que les grands seigneurs n'hésitaient pas à se rebeller contre leur roi, lorsqu'ils vivaient dans leurs provinces et pouvaient s'y appuyer sur leurs vassaux et leurs fidèles. La création de Versailles et l'autorité de Louis XIV les obligèrent à vivre une partie de l'année sous les yeux du monarque. Il fallait « faire sa cour » au roi pour obtenir de lui des pensions. De plus, le roi nommait les évêques et les abbés, les gouverneurs de province et de places fortes, les lieutenants généraux des armées et les ambassadeurs, et il fallait être bien connu - et bien considéré - de lui pour se voir confier de telles fonctions. La fortune et la réputation des familles nobles dépendaient donc largement de la faveur royale.
Les courtisans suivaient les journées du roi, qui étaient parfaitement réglées. Certains avaient, par leur charge, un rôle à y tenir, selon qu'ils s'occupaient de la chambre du roi, de sa garde-robe, de sa garde, de sa table, de ses chevaux ou de ses chiens. Le lever du roi était la première étape de cette cérémonie royale. Selon leur rang et leur familiarité avec le monarque, les courtisans étaient autorisés à y assister : d'abord les grandes entrées pour les intimes, puis les premières entrées, ensuite l'entrée libre. La famille royale, elle, pouvait toujours se rendre auprès du roi « par les derrières », sans passer par l'antichambre. La messe, le dîner public, le coucher du roi, furent l'objet d'autant d'attention. La place de chacun était fixée d'avance. Seules certaines femmes - les duchesses, avant tout - avaient le droit d'être assises en présence du monarque.
Les appartements des courtisans (ceux qui avaient la chance d'en avoir dans le palais lui-même) étaient souvent inconfortables. Quant à la vie de cour, elle était ruineuse, car il fallait avoir des habits somptueux, inviter des amis, avoir des carrosses, et, en même temps, entretenir un hôtel particulier en ville et un château à la campagne. Louis XIV s'efforça pourtant de la rendre agréable, par des bals, des ballets, des opéras, des pièces de théâtre. La musique, que Louis XIV aimait infiniment, accompagnait la vie du roi, pendant la messe, les repas, les fêtes...
Le palais de Versailles permettait d'exposer aux yeux de la noblesse de cour les chefs-d'œuvre des arts et métiers : tapis de la Savonnerie, glaces de Saint-Gobain, meubles de Boulle, tapisseries et argenteries des Gobelins, et les chefs-d'œuvre des collections royales. Les antiques et les statues modernes faisaient aussi des jardins « le premier musée statuaire d'Europe » (Hélène Himelfarb).
Louis XIV se fatigua lui-même des lourdes obligations de Versailles et bientôt fit édifier une résidence plus simple dans le vallon de Marly (1678-1684). Autour du château réservé à la famille royale (qui fut rasé au XIXe siècle) se dressaient douze pavillons, comme les douze signes du Zodiaque autour du Soleil. Dans ce retour du thème solaire et cosmologique, Hélène Himelfarb voit la preuve que l'allégorie servait à plaire et à séduire, dans une maison qui était « une fantaisie d'été, de loisirs ou de retraite », alors qu'elle était abandonnée lorsque la demeure servait « à gouverner et à vivre ». À Marly, ne se rendaient que les courtisans invités par le roi et ils devaient solliciter cet insigne honneur. La vie était, là, plus simple et plus détendue.