physiocratie, (suite)
Une « science économique ».
• Utilisée par Quesnay, l'expression « science économique » fait florès vers 1770 puis pâtit du discrédit qui pèse sur les physiocrates. Ceux-ci croient en l'existence de lois économiques « naturelles », connaissables grâce à l'arsenal que constituent la logique hypothético-déductive, les inférences réalisées à partir de données concrètes (ainsi les dépenses de propriétaires fonciers), la vérification par la statistique et par l'enquête. L'effort de formalisation de leur description synthétique fait naître un vocabulaire spécifique, dénoncé par d'autres penseurs comme un langage ésotérique de la « secte des économistes ». Cependant, le Tableau économique de Quesnay est l'une des premières tentatives de représentation globale de l'économie sous la forme d'un circuit, explicité par l'ébauche d'une comptabilité nationale. C'est encore une des premières analyses macro-économiques de la société articulée en grands agrégats (les trois « classes »). Ainsi, pour les physiocrates, l'État est garant de la propriété privée de la terre, mais non des droits seigneuriaux, et il ne peut taxer que la source des richesses : par conséquent, l'impôt doit être prélevé sur la « classe propriétaire » (les propriétaires fonciers), bénéficiaire du « produit net » de la terre (le produit total diminué des « avances », à savoir les investissements et les frais d'exploitation), à l'exclusion de la « classe productive » (ceux qui mettent la terre en valeur) et de la « classe stérile » (le reste de la population, qui ne fait que transformer ou consommer la matière). Dans l'Homme aux quarante écus, Voltaire raille cette conception qui réserve la ponction fiscale à l'activité censée être encouragée.
L'école physiocrate.
• La physiocratie est en fait une philosophie radicale des Lumières : la vérité de l'ordre naturel doit être portée à la connaissance de tous, et l'ordre politique, s'y conformer ; se substituera à la société d'ordres une hiérarchie de classes socio-économiques dominée par les propriétaires fonciers. La doctrine se fortifie grâce à des réunions de réflexion (en 1767, « dîners du mardi » du marquis de Mirabeau, père du révolutionnaire), à des périodiques de propagande (Éphémérides du citoyen, puis Nouvelles Éphémérides économiques de l'abbé Baudeau ; Journal de l'agriculture, du commerce et des finances de l'abbé Roubaud), aux premiers manuels d'économie (de Mirabeau : Leçons économiques, 1770, ou Abrégé des principes de l'économie politique avec le margrave de Bade, 1772) et à des ouvrages de disciples tantôt censurés, tantôt pensionnés par le pouvoir royal, tels Mirabeau, Le Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours ou Le Trosne. Les adversaires de cette théorie ne sont pas moins actifs : ainsi l'abbé Galiani (Dialogues sur le commerce des blés, 1770), Linguet (Théorie des lois civiles, 1770 ; Réponse aux docteurs modernes, 1771), Necker, (Éloge de Colbert, 1773 ; Sur la législation du commerce des grains, 1775), l'abbé Mably, Forbonnais, etc. Les idées défendues par les physiocrates, comme celles de leurs détracteurs, ont contribué au développement de l'« agromanie » à la fin du XVIIIe siècle, à l'acclimatation du libéralisme et à la professionnalisation de l'économie. Adam Smith et Karl Marx ont salué les apports de la physiocratie à la théorisation économique.