Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Église (suite)

Aux origines de l'Église chrétienne

Des premières communautés chrétiennes attestées en Gaule au début de l'évangélisation (martyrs de Lyon et de Vienne, 177) au moment où apparaissent les plus anciennes élaborations d'une doctrine de l'Église (ou ecclésiologie) s'écoulent plusieurs siècles, marqués à la fois par les conditions sociales et historiques de la christianisation, l'expérimentation de formes institutionnelles importées d'Orient ou inédites et la recherche d'équilibres encore fragiles. Les communautés de la Gaule romanisée réunissent des groupes restreints de fidèles, principalement urbains, autour d'un presbyterium réduit (l'évêque, les prêtres, les diacres) ; c'est le temps aussi des premières expériences érémitiques ou monastiques (Tours, Lérins). L'âge mérovingien, à l'aube duquel émerge la figure du roi chrétien (baptême de Clovis, roi des Francs, vers 496), voit la mise en place de structures ecclésiastiques plus affirmées et plus diversifiées : le diocèse, calqué sur la délimitation des anciens pagi (pays) romains, à la tête duquel se place l'évêque (généralement issu des familles de l'ancienne aristocratie gallo-romaine, en voie de fusion avec l'aristocratie germanique) ; le presbyterium, groupe de prêtres, de chantres et de diacres, qui assure le service liturgique à l'église cathédrale ; la paroisse rurale, en voie de constitution sous la protection des propriétaires des grandes exploitations agricoles ou forestières (villae) ; le monachisme, d'origine irlandaise ou bénédictine - bientôt étendu aux femmes à l'initiative de sainte Radegonde -, au sein duquel se détache la puissante figure de l'abbé ; l'érémitisme enfin.

L'âge carolingien est celui d'une première synthèse ecclésiologique élaborée à la cour de Charlemagne et de ses premiers descendants par leurs conseillers lettrés, clercs ou évêques (Raban Maur, Alcuin, Benoît d'Aniane, Agobard de Lyon, Hincmar de Reims). Placé en clef de voûte de l'ordre politique, social et religieux, l'empereur d'Occident, « nouveau David », protecteur du pape et défenseur de l'Église, est le garant d'un ordre chrétien qui distingue selon leurs privilèges et leurs obligations respectives les moines, les clercs et l'ordre des gens mariés. Ces groupes sont ordonnés selon une stricte hiérarchie qui sacralise les rapports juridiques et économiques de la société franque, mais également subordonnés à une exigence réciproque de charité et de concorde. L'Église renforce dans le même temps ses structures, accentue l'autorité de l'évêque au sein de chaque diocèse, étend à tous les monastères la règle bénédictine et aux églises cathédrales les règles canoniales, multiplie les paroisses rurales, intensifie la vie liturgique et sacramentelle ainsi que la prédication et la catéchèse, à la faveur d'une renaissance littéraire latine dont les effets se font sentir sur le plan scripturaire, théologique et spirituel.

Les synthèses médiévales

À l'aube du XIe siècle, avec l'effondrement de l'Empire carolingien et l'émergence de la société féodale, s'élabore autour des évêques Adalbéron de Laon et Gérard de Cambrai la doctrine qui permettra de définir le statut de l'Église jusqu'à la fin de l'Ancien Régime en structurant la société en trois ordres : ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent. À l'Église et à ses clercs, qui constituent le premier ordre en privilèges et en dignité au sein de la société chrétienne, est ainsi dévolue la fonction sacrale de la médiation avec Dieu, dans la perspective du salut par la sanctification des œuvres humaines.

L'Église médiévale connaît dans le même temps des mutations décisives. La réforme engagée par le pape Grégoire VII (1073-1085) et ses successeurs vise à distinguer les domaines du spirituel et du temporel, à libérer évêques et abbés de la tutelle des aristocraties féodales, à imposer le célibat ecclésiastique et le caractère sacramentel et indissoluble du mariage chrétien. Le quatrième concile du Latran (1215) étend à l'universalité des fidèles l'obligation de la confession et de la communion pascales. Le monachisme, parcouru par des mouvements successifs de réforme de l'ordre bénédictin (Cluny, Cîteaux) ou de créations (Prémontré, la Grande-Chartreuse), est profondément renouvelé au XIIIe siècle par l'apparition des ordres mendiants (franciscains, dominicains), qui exercent dans les villes une mission de prédication populaire à travers un témoignage de pauvreté volontaire. L'entreprise violente des croisades dans l'Orient musulman (prise de Jérusalem, 1099), le renouveau des pèlerinages proches ou lointains et de l'effort missionnaire attestent une nouvelle dynamique, relayée par l'affirmation de la papauté comme centre d'unité de la chrétienté. Une renaissance intellectuelle entraîne la multiplication des universités et l'élaboration de puissantes synthèses théologiques et philosophiques du savoir chrétien (la Somme théologique, de Thomas d'Aquin). Dans le cadre de la vie paroissiale enfin, la vie religieuse des laïcs est structurée par le calendrier des fêtes et des célébrations liturgiques, la périodicité des rites agraires, la multiplication des confréries de quartier, de métier ou de dévotion. L'Église médiévale, son clergé et ses établissements, ses institutions matérielles (le bénéfice, la dîme, le casuel) et spirituelles, son enseignement, ses commandements, ses sacrements et ses cérémonies enserrent étroitement la vie religieuse, morale, politique et sociale des populations françaises.

Crise de la chrétienté et réforme de l'Église

L'ecclésiologie médiévale se heurte, à partir du XIVe siècle, à un ensemble de remises en cause. L'affirmation du pouvoir monarchique limite les prérogatives universelles du Saint-Siège : à la faveur de l'affaiblissement politique de la papauté durant son séjour à Avignon (1309-1377), puis du grand schisme d'Occident et des guerres d'Italie, le roi impose progressivement (pragmatique sanction de Bourges, 1438 ; concordat de Bologne, 1516) son pouvoir de nomination à la tête des diocèses et des abbayes, au détriment de l'élection par les chapitres : choisi par le monarque, puis préconisé au spirituel par le pape, l'épiscopat constitue l'armature d'une Église gallicane, profondément insérée dans les structures sociales et politiques de l'État. Dans le même temps, l'institution ecclésiale renforce considérablement sa puissance, ses structures et sa fiscalité, tandis que le système de la commende laïque confère à l'aristocratie l'essentiel du revenu des abbayes et accentue la crise du monachisme ancien. Enfin, des courants spirituels issus de la Devotio moderna (Dévotion moderne) et de l'humanisme chrétien expriment des exigences de retour à l'Écriture dans son texte original et de renouvellement intérieur.