Papon (procès), (suite)
Le 2 avril 1998, au terme du plus long procès dans l'histoire française contemporaine, après un délibéré de dix-neuf heures, la cour d'assises siégeant à Bordeaux condamne l'ancien haut-fonctionnaire à dix ans de réclusion criminelle et à la privation des droits civiques pour complicité d'arrestations illégales et de séquestrations arbitraires, sans toutefois retenir la complicité d'assassinat.
L'« affaire Papon » éclate le 6 mai 1981, entre les deux tours de l'élection présidentielle, quand le Canard Enchaîné révèle que celui qui est alors ministre du Budget dans le gouvernement Barre a joué un rôle dans la déportation des juifs de Bordeaux durant l'Occupation. Il a fallu seize années de procédure judiciaire avant que Maurice Papon comparaisse devant ses juges ; il a été inculpé en 1983 puis, après annulation de la procédure, à nouveau en 1988 et en 1992.
Le procès est riche en péripéties. Le 10 octobre 1997, les trois magistrats de la cour d'assises ordonnent la mise en liberté de l'accusé en raison de son grand âge (87 ans), provoquant l'ire des avocats des parties civiles. Le 28 janvier 1998, l'un d'entre eux, Me Arno Klarsfeld, affirme que le président de la cour d'assises, Jean-Louis Castagnède, a un lien de parenté par alliance avec plusieurs des victimes déportées.
Au cours de l'examen du curriculum vitae de l'accusé, est évoquée la répression sanglante, durant la guerre d'Algérie, de la manifestation des Algériens du 17 octobre 1961, alors que Maurice Papon était préfet de police de Paris. Mais l'essentiel des débats porte sur le rôle exact de l'accusé dans la déportation des juifs de Bordeaux, s'appuyant tout à la fois sur des documents administratifs et sur des témoignages de personnes, qui, dans leur grande majorité, n'ont connu ni les faits ni l'accusé. Témoignent ainsi, cités par la défense, certains barons du gaullisme comme Pierre Messmer, Maurice Druon ou Olivier Guichard et de grands résistants comme Jean Mattéoli. Des parents de victimes, parties civiles, sont entendus par la cour. Des historiens sont aussi appelés à la barre, par l'accusation, comme l'Américain Robert Paxton, Jean-Pierre Azéma, Philippe Burrin, ou Marc-Olivier Baruch, auteur d'un ouvrage sur l'administration française sous le régime de Vichy, ou par la défense, comme René Rémond, Henri Amouroux, ou Michel Bergès, qui a fourni en 1981 les premiers documents compromettant Maurice Papon mais qui a ensuite dénoncé les lacunes du dossier d'instruction.
À travers les témoignages, les archives présentées à l'audience, les plaidoiries de la défense, se dégagent un certain nombre de questions dont les médias se font les relais. Le procès Papon devait être, de l'avis de certains journalistes et hommes politiques, à la fois le procès de Vichy et une formidable leçon d'histoire. Or, ce fut le procès d'un homme, jugé pour des faits relevant de sa responsabilité. Maurice Papon n'était peut-être pas la personne la plus à même d'illustrer la complicité de Vichy dans la destruction des juifs de France. Manquaient des chaînons essentiels : Pierre Laval, condamné à mort et exécuté en 1945, sans d'ailleurs que le génocide des juifs jouât le moindre rôle dans sa condamnation ; René Bousquet, secrétaire général de la Police sous Vichy, assassiné en 1993 avant l'ouverture de son procès ; Maurice Sabatier, supérieur direct de Papon, inculpé de crimes contre l'humanité en 1988 et décédé en 1990. Cinquante-cinq ans ont passé depuis les faits reprochés à l'accusé, avec des conséquences paradoxales. D'un côté, la quasi-absence de témoins directs ; mais, de l'autre, une multitude de travaux historiques dessinant la chaîne qui a permis que des juifs fussent déportés de France vers les camps pour y être assassinés : fichage, spoliations de tous leurs biens, concours apportés aux nazis par les forces de l'ordre françaises. Le procès, par sa longueur même, a montré la complexité de ces circuits administratifs, et la difficulté de rendre à chacun sa place et sa responsabilité.
En 2002, Maurice Papon est remis en liberté en raison de son état de santé.