Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

cahiers de doléances, (suite)

...aux aspirations politiques.

•  La bourgeoisie, quant à elle, critique violemment l'absolutisme monarchique et l'arbitraire judiciaire, réclame une Constitution limitant le pouvoir royal et institutionnalisant une représentation nationale investie du droit de consentir l'impôt, revendique enfin l'égalité et la liberté d'opinion. Les cahiers urbains sont donc plus politiques, et la voix du petit peuple s'y efface plus encore derrière celle des notables.

La noblesse se montre elle aussi attachée aux libertés individuelle et d'opinion, et favorable à une limitation de l'absolutisme par certaines formes d'assemblées. Elle s'est plus ou moins résignée à une égalité fiscale partielle, mais défend ses privilèges honorifiques et la structure inégalitaire de la société, dont le vote par ordre est à la fois l'expression et le garant.

Les cahiers du clergé révèlent ses divisions internes. Le souhait d'une réforme de l'État s'exprime à peu près dans les mêmes termes que ceux du Tiers. Favorable à 85 % à l'égalité fiscale, le clergé reste cependant attaché au maintien de la distinction entre les ordres : seulement 15 % de ses membres demandent le vote par tête, et très peu aspirent à l'union avec le Tiers. Les simples curés réclament une amélioration de leurs conditions matérielles. L'ordre entier, enfin, rejette la tolérance religieuse et la liberté de la presse.

Globalement, même si les cahiers de doléances ont subi l'influence des notables ruraux, des hommes de loi et des bourgeois locaux, qui filtrent la parole populaire, ils sont, sans aucun doute, « authentiques ». Leur rédaction constitue non seulement une gigantesque prise de parole inédite, mais aussi une prise de conscience majeure : l'idée qu'il est possible de transformer l'ordre existant a pénétré l'univers mental du peuple français, contribuant fortement à l'explosion de l'été 1789.

Caillaux (Joseph),

homme politique (Le Mans 1863 - Mamers, Sarthe, 1944).

Inspecteur des finances, fils d'un notable royaliste qui fut ministre des Finances de Mac-Mahon, il choisit la République. Député de la Sarthe en 1898, ministre des Finances de Waldeck-Rousseau dès 1899, tenant de l'orthodoxie financière et de la rigueur, il rétablit l'équilibre budgétaire, puis dégage des excédents, mais n'ose présenter un projet d'impôt sur le revenu, dont il est pourtant partisan. De nouveau ministre sous Clemenceau en 1906, il voit son projet bloqué par le Sénat. Il se rapproche alors des radicaux, forme un gouvernement en 1911, annonçe des mesures « laïques, fiscales et sociales ». Mais, à contre-courant des crispations nationalistes, il règle la crise d'Agadir en obtenant que l'Allemagne se désintéresse du Maroc contre la cession de territoires au Congo : l'hostilité de Poincaré et de Clemenceau provoquent la chute de son ministère. Président du Parti radical en 1913, de retour aux Finances la même année, il doit démissionner en 1914 après que sa femme eut tué Gaston Calmette, directeur du Figaro, qui voulait le discréditer en publiant des lettres concernant sa vie privée. L'impôt sur le revenu est pourtant adopté, mais son autre priorité, négocier avec l'Allemagne, est condamnée lorsque éclate la Première Guerre mondiale. Même s'il reste attaché au retour de l'Alsace-Lorraine, il devient, dès 1915, l'homme d'une paix de compromis, d'autant qu'il craint la ruine de la France et des menées révolutionnaires ou nationalistes. Clemenceau le fait arrêter pour trahison, sans preuves, au début de l'année 1918. En 1920, il est condamné à trois ans de prison par le Sénat réuni en Haute Cour. En 1925, le Cartel des gauches lui rend ses droits civiques, le rappelle aux Finances après qu'il fut devenu sénateur. Mais la gauche refuse de le laisser gouverner par décrets ; son orthodoxie financière et son hostilité à l'impôt sur le capital le rapprochent de la droite. Président de la commission des finances au Sénat, il contraint les ministres à négocier le budget avec lui, et, hostile au Front populaire, il dirige l'offensive qui fait tomber le gouvernement Blum en juin 1937. Il vote les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940, mais refuse toute compromission avec Vichy. Sa mort passe quasi inaperçue, alors que son orgueil, son talent et ses prises de position avaient soulevé les passions, et en avaient fait, sans qu'il n'ait jamais changé, un symbole de la gauche, puis son ennemi, un homme à abattre pour la droite, puis un de ses ténors.

Calais (bourgeois de),

héros d'un épisode de la guerre de Cent Ans célébré depuis le XIVe siècle par l'histoire nationale.

Le 4 août 1347, à l'issue d'un siège de plus d'un an, Calais capitule devant Édouard III d'Angleterre. Après que celui-ci eut menacé la ville d'un massacre, six bourgeois, parmi les plus riches, s'offrent au roi en victimes expiatoires. Ils vont au devant d'Édouard III, pieds nus, en chemise et la corde au cou, lui apporter les clés de la ville et crier grâce. Les supplications de la reine Philippa leur permettent de garder la vie sauve.

Issu des Chroniques de Froissart, l'épisode est passé dans la mémoire nationale comme le symbole du patriotisme municipal (puis du patriotisme tout court) et de l'esprit de sacrifice des élites urbaines : que l'on songe, par exemple, au groupe sculpté que Rodin fait exposer à Calais en 1895. Pourtant, le récit du dévouement des bourgeois de Calais n'est pas sans ambiguïté, et Voltaire doutait déjà de cette mise en scène. Les bourgeois de Calais risquaient-ils réellement la mort ? La recherche récente tend plutôt à penser qu'ils se sont livrés, en pleine connaissance de cause, à un simulacre d'exécution assez courant dans la justice médiévale. En résistant à Édouard III qui, depuis sa victoire de Crécy (1346), se considère comme le roi de France légitime, les Calaisiens ont commis un crime de lèse-majesté. Pour que l'honneur du roi soit rétabli, il faut que les coupables reconnaissent eux-mêmes, par un rituel d'humiliation publique, qu'ils ont mérité la mort et que seule la clémence royale peut les sauver.

Calas (affaire),

affaire suscitée par la condamnation à mort, le 9 mars 1762, du négociant protestant Jean Calas par le parlement de Toulouse, et par son exécution, le 10, pour le meurtre supposé de son fils Marc-Antoine.