Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Curie (Marie et Pierre), (suite)

De la détresse à la reconnaissance mondiale.

• Au terme d'une dépression qui a inquiété tous ses proches, Marie se voit octroyer la charge d'enseignement de son mari à la Sorbonne. L'événement est d'importance : c'est la première fois, en effet, qu'une femme professe dans cette vénérable institution, et la foule se presse pour assister à son premier cours. Encouragée par ses collègues, Marie fait acte de candidature à l'Académie des sciences en 1911, mais on lui préfère Édouard Branly, l'inventeur de la TSF. La presse, qui l'a adulée quelques années plus tôt, lui reproche alors de pousser trop loin le goût des récompenses et des honneurs. Ce dénigrement sournois ne tarde pas à se transformer en campagne d'hostilité lorsqu'un journal dévoile, à la fin de l'année 1911, l'idylle de Marie Curie et du physicien Paul Langevin. L'extrême droite s'empare de l'affaire, et dénonce la destruction d'un honorable foyer français par une « apatride sans scrupules ». Au cours de cette même année, l'attribution à Marie d'un second prix Nobel - de chimie -, pour ses travaux sur l'isolement du radium, relègue à l'arrière-plan ces polémiques indignes. Mais, de retour de Suède, où elle a reçu du roi Gustave V sa récompense, Marie tombe gravement malade et doit être hospitalisée. Souffrant de troubles rénaux, elle ne recouvrera jamais véritablement la santé.

Dès cette époque, sa fille Irène est de plus en plus fréquemment associée à ses travaux scientifiques. La collaboration familiale prend, après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, une orientation nettement humanitaire. Au début du conflit, seuls les grands hôpitaux éloignés du front possèdent des appareils à rayons X. Marie met alors au point une unité radiologique mobile capable de se déplacer. Dix-huit véhicules de ce genre sont construits, et deux cents postes permanents de radiologie, établis ; une école d'infirmières radiologistes est également créée à cet effet. À l'issue du conflit, Marie jouit d'une renommée mondiale. Les critiques ont cédé la place aux honneurs et à la reconnaissance internationale. En 1921, le président des États-Unis, Warren Harding, lui remet solennellement un gramme de radium acquis grâce à une collecte de 100 000 dollars. L'énergie que Marie déploie inlassablement pour obtenir des financements porte ses fruits. Les laboratoires de l'Institut du radium sont, en effet, opérationnels dès la fin de la guerre, et en 1921 leur sont adjoints les services thérapeutiques de la Fondation Curie ; la recherche est financée par des dons des Fondations Rothschild, Carnegie et Rockefeller. Durant les dernières années de sa vie, Marie est de plus en plus affectée par les expositions prolongées à des doses massives de radioactivité. Au sanatorium de Sancellemoz, où les médecins l'envoient en 1934, on diagnostique rapidement une leucémie. Marie Curie meurt le 4 juillet de la même année, et est enterrée au cimetière de Sceaux, où repose Pierre. En 1995, ses cendres sont transférées au Panthéon.

De la science au mythe.

• Figures fondatrices de la science moderne, Pierre et Marie Curie ont apporté, par leurs travaux sur la radioactivité, des moyens essentiels à l'étude de la constitution de l'atome et du noyau atomique. En outre, les applications thérapeutiques de la découverte du radium sont considérables, notamment dans le traitement des tumeurs cancéreuses (curiethérapie). Même si la radioactivité reste mal connue du grand public - souvent partagé, cent ans après, entre l'effroi et la fascination -, Pierre et Marie Curie n'en appartiennent pas moins à ce petit nombre de savants dont les recherches s'inscrivent en lettres mythiques dans la mémoire collective. « Il semble, écrivait Camille Flammarion en 1900, que M. et Mme Curie, au fond de leur laboratoire aux planches mal jointes, aient reculé les frontières de l'impossible. » L'image d'un couple opiniâtrement soudé dans la passion de la recherche est un élément non négligeable des hagiographies qui ont fleuri depuis près d'un siècle. Mais les travaux sur la radioactivité n'auraient pas joui d'une telle aura sociale s'ils n'avaient inauguré la participation des femmes aux progrès scientifique et technologique. De Marie à sa fille Irène s'affirme un axe émancipateur qui consacre l'entrée des femmes à l'Université et dans les laboratoires. Marie éclipse Pierre dans l'épopée scientifique du XXe siècle. Célébrée sur tous les tons, comblée de distinctions honorifiques, traquée par la presse populaire, elle est devenue - avant la lettre - une figure médiatique, dont l'éternelle petite robe de coton noire et le visage austère ont pris valeur de symboles. Ce n'est pas ternir sa réputation que de reconnaître, aujourd'hui, qu'elle a su jouer de ces symboles et administrer efficacement sa propre image : vilipendée par la presse à la veille de la Première Guerre mondiale, elle a rapidement compris l'importance des nouveaux moyens de communication, et n'a pas dédaigné les manœuvres médiatiques, dès lors qu'il s'agissait d'obtenir des fonds pour son laboratoire. Tout comme elle a compris la nécessité de tisser des liens avec l'industrie, afin de bénéficier de son soutien. Les fameuses photographies qui la représentent dans son laboratoire alimentent un mythe un peu réducteur : Marie Curie n'a-t-elle pas pris, très lucidement, la mesure des relais et des appuis avec lesquels la science la plus « pure » devait désormais compter ?

Cyrano de Bergerac (Savinien de),

écrivain et philosophe (Paris 1619 - Sannois, aujourd'hui dans le Val-d'Oise, 1655).

D'humeur indépendante et de tempérament impétueux, Cyrano est très tôt attiré par le métier des armes. Blessé lors des sièges de Mouzon (1639) et d'Arras (1640), il abandonne la carrière militaire, et regagne Paris, où il fréquente la bohème littéraire. Il n'est pas sûr qu'il ait suivi les leçons du philosophe Gassendi, mais il s'est du moins initié à sa doctrine épicurienne. Auteur d'une tragédie, la Mort d'Agrippine (1653) et d'une comédie pleine de verve, le Pédant joué (1654), il rédige également des Lettres, recueils d'épîtres fictives dans le goût de l'époque. Mais c'est surtout dans ses deux romans utopiques posthumes - Histoire comique des États et Empires de la Lune (1657) et Histoire comique des États et Empires du Soleil (1662) - qu'il donne la mesure de son imagination fantasque et de ses facultés d'anticipation. Sa manière de greffer des idées audacieuses sur un récit de voyage extraordinaire annonce le roman philosophique du XVIIIe siècle.