déchristianisation. (suite)
La fidélité au catholicisme dans la France rurale se caractérise ainsi par une distribution périphérique qui privilégie les marges de l'Ouest, du Nord-Ouest, de l'Est, du sud-est du Massif central et de l'extrême Sud-Ouest, par rapport à l'ensemble plus ou moins profondément déchristianisé du grand Bassin parisien, prolongé par le Limousin et l'Aquitaine, et, dans une moindre mesure, par la Provence. La publication des Matériaux Boulard, entreprise depuis 1982 à l'échelle des grandes régions françaises, ainsi que la convergence d'autres enquêtes contribuent à faire de la carte religieuse de la France un formidable instrument d'investigation et de questionnement.
Pourquoi y a-t-il eu déchristianisation ? Depuis quand ? Et comment rendre compte de telles disparités géographiques ? Depuis plusieurs décennies, la Carte Boulard invite les historiens à une recherche rétrospective qui s'efforce de dater, quantifier et cartographier le phénomène en fonction des sources disponibles et de suggérer des interprétations. Ainsi, la distribution périphérique des dynamiques du catholicisme français a-t-elle été tour à tour vérifiée, pour le XIXe siècle, par des indices aussi divers que le recrutement des prêtres, des religieux et des religieuses, les dons à l'Œuvre de la propagation de la foi, la demande d'indulgences en cour de Rome ou le recrutement des zouaves pontificaux. La confrontation cartographique la plus saisissante est celle établie par l'historien américain Timothy Tackett à partir des statistiques du serment imposé en 1791 au clergé paroissial lors de la mise en place de la Constitution civile du clergé. Prêtres constitutionnels et prêtres réfractaires occupent, à peu de chose près, l'espace des futures régions déchristianisées et fidèles des XIXe et XXe siècles : la Bretagne et l'Ouest intérieur, la Flandre, la Franche-Comté, les hautes terres du Massif central, le Pays basque, sont massivement réfractaires, quand le Bassin parisien, la Bourgogne, le Limousin, la Provence, s'engagent non moins massivement dans l'Église « nationale » et « régénérée » mise en place par l'Assemblée constituante. Le choix effectué par le clergé à l'aube de la Révolution sera ensuite consacré par la déchristianisation de l'an II (émigration ou persécution des réfractaires d'une part, déprêtrisation des constitutionnels de l'autre).
L'État, sa politique religieuse et ses doctrines ont ainsi pesé lourd dans les fidélités ou les détachements religieux : c'est dans les régions tardivement agrégées à l'espace français que la déchristianisation semble, dans le long terme, avoir été en définitive la plus faible.