Religion (guerres de). (suite)
La seconde Ligue et la genèse d'un conflit inexpiable.
• Face à la possibilité d'accession au trône d'un « hérétique », et dans un contexte d'angoisse eschatologique grandissante, deux organisations se mettent en place : une ligue nobiliaire, en septembre 1584, derrière Henri de Guise, qui conclut une alliance secrète avec l'Espagne (traité de Joinville, décembre 1584), et une ligue parisienne, organisation clandestine. Le 30 mars 1585, un programme est rendu public à Péronne : il invite les « bons » catholiques à se préparer à une guerre d'éradication ; mais il revêt aussi une dimension de contestation politique : sont dénoncés les favoris royaux, qui accaparent l'État et poussent le roi à augmenter la fiscalité et à multiplier les officiers ; est réclamée la périodicité des états généraux. Autant que sur le rétablissement de l'unité religieuse, seule condition de la réconciliation de Dieu avec son peuple, la Ligue fonde son militantisme sur un idéal de rapports contractuels à l'intérieur de l'État. Par une prise d'armes, ses chefs obligent le roi à se rallier à leur stratégie d'éradication (traité de Nemours, juillet 1585).
Le conflit imbrique très étroitement le religieux et le politique. La Ligue s'oppose à une sursacralisation de la personne royale. Les rois, dans l'imaginaire monarchique, sont l'idée de Dieu, « duquel ils sont le vray type, pourtraict et image, tant pour l'unité du gouvernement de Dieu représenté en eux, que pour leur naturel bening, misericordieux et bienfacteur au genre humain, comme est celuy de Dieu ». Les rois sont Dieu, ils sont aux hommes ce que le Soleil est au monde sensible. Entre le royaume et l'univers, selon Jacques de La Guesle, il y a imitation voulue par Dieu du second par le premier. Sans Dieu, ou si Dieu se détournait de lui, l'univers ne serait que chaos, privé de lumière et d'âme. Derrière la lutte pour l'unité religieuse, il y a une lutte contre cette appropriation royale du divin. Le roi dont rêvent les ligueurs est un « officier » dont la mission est de faire régner la loi de Dieu, par le glaive de justice et la guerre. Le peuple, qui a conclu une alliance avec Dieu, est le détenteur de la souveraineté.
La huitième guerre débute avec la publication d'un édit qui proscrit la Réforme et proclame le roi de Navarre déchu de ses droits (18 juillet 1585). Elle donne lieu à des opérations confuses, dont trois batailles : le duc de Joyeuse est tué à Coutras, première victoire d'Henri de Navarre (20 octobre) ; Henri de Guise, à Vimory (26 octobre) et Auneau (24 novembre), est vainqueur d'une armée de secours levée en Allemagne. Le pouvoir royal se trouve confronté à une contradiction. En effet, la crise financière rend impossible tout engagement militaire efficace contre les réformés, qui tiennent une grande partie du Sud-Ouest, tandis que les succès militaires du duc de Guise contribuent au durcissement ligueur : le roi en vient à être soupçonné de collusion avec les réformés.
Henri III : du coup d'État de Blois au régicide.
• C'est dans un contexte d'internationalisation de la guerre (expédition de l'Invincible Armada vers l'Angleterre pour y renverser le protestantisme) qu'Henri III doit quitter Paris aux mains des ligueurs (journée des Barricades, 12 mai 1588), puis multiplier les concessions à la Ligue : il nomme Guise lieutenant général, convoque les états généraux de Blois, jure l'édit d'Union, s'engageant à ne tolérer qu'une seule religion dans son royaume. Mais il fait assassiner Guise (23 décembre).
Paris puis une série de villes entrent en rébellion, d'Orléans à Amiens, Abbeville, Lyon, Rouen, Marseille, la Sorbonne ayant rendu publique une déclaration déliant le peuple de l'obéissance au « tyran ». La guerre change de configuration, les fronts se multiplient : c'est une guerre de l'écrit, par le biais d'une production pamphlétaire proliférante. Les royalistes défendent le droit du monarque d'exercer une justice immédiate sur tout sujet menaçant sa personne et son État ; les ligueurs avancent que le Prince qui fait assassiner ses sujets est un tyran et doit être déposé. C'est ensuite une guerre que chaque ligueur mène contre le péché : ainsi dans la capitale qui, durant l'hiver, est sillonnée de processions pénitentielles. Enfin, c'est une guerre éclatée, car, par-delà les parcours des grandes armées, chaque province, chaque « pays », voit des troupes aux effectifs limités s'affronter pour le contrôle du plat pays et de ses ressources, avec parfois l'application d'une stratégie de la terre brûlée qui vise, par des razzias, à affaiblir l'ennemi ; les conséquences sont très dures pour les populations civiles : villages anéantis, récoltes saisies ou détruites, insécurité qui désorganise les échanges, « pestes » qui vont et viennent. C'est l'époque du « chaos », selon le mot des libellistes royalistes.
Henri III tente de réagir contre la Ligue, qui désigne le duc de Mayenne lieutenant général du royaume. Le 30 avril 1589, le roi conclut une alliance avec Henri de Navarre. Mais, tandis que les deux armées alliées viennent mettre le siège devant Paris, il est assassiné par le dominicain Jacques Clément (1er août).
Deux rois pour la France.
• Henri de Navarre, qu'Henri III a reconnu comme son successeur avant de mourir, s'engage par une déclaration à maintenir l'intégrité de la religion catholique (4 août). Mais les ligueurs pensent la guerre comme une véritable croisade : prince « hérétique » et relaps, Henri de Navarre est, à leurs yeux, un tyran qui veut mettre à mort les catholiques ; son hérésie le rend indigne du trône, qui revient à son oncle le cardinal de Bourbon. Surtout, il est licite à tout bon chrétien de porter la main sur le tyran, au nom de la justice de Dieu, et tout ligueur appartenant à une sainte union qui se veut « union de conjonction et de société très fraternelle avec Jésus-Christ » a le devoir de « zèle ». La guerre ligueuse est une prise de croix collective.
Elle évolue défavorablement pour les ligueurs, pour trois raisons. D'abord, les dissensions internes à la Ligue - entre des éléments radicaux qui veulent fonder la distinction sociale sur le critère de l'intensité de la foi et certaines élites bourgeoises et nobiliaires socialement conservatrices : ces contradictions éclatent dans Paris entre novembre et décembre 1591, après la pendaison du président Brisson et la répression menée par le duc de Mayenne. Joue ensuite le génie militaire et idéologique d'Henri de Navarre, que ses victoires d'Arques (septembre 1589) et d'Ivry (mars 1590) mettent en situation de force et que sa propagande présente comme un souverain providentiel, envoyé par Dieu pour lutter contre les passions et pour restaurer un âge d'or. Henri de Navarre se veut le roi d'un pouvoir absolu, à qui ses sujets doivent l'obéissance parce que l'obéissance fait partie de l'ordre de l'univers. Le roi est divin, nouvel Hercule. C'est une révolution politique qui est ainsi formulée, imposant l'absolutisme comme un ordre de la raison. Enfin et surtout, le support des catholiques « politiques » au nouveau souverain est décisif.