Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
D

Dreyfus (affaire). (suite)

Mais ce n'est pas reconnaître l'innocence de l'accusé. Aussi, un petit groupe de dreyfusards s'engage-t-il très vite dans la recherche d'un élément nouveau susceptible de relancer l'Affaire, afin d'obtenir la réhabilitation du capitaine. En avril 1903, Jaurès prononce un discours important à la Chambre qui contraint le gouvernement à rouvrir une enquête. La Cour de cassation est une nouvelle fois saisie. Une longue procédure judiciaire s'ensuit. Il faudra attendre le 12 juillet 1906 pour que cette cour reconnaisse, en séance publique, que « de l'accusation portée contre Dreyfus rien ne reste debout », et réhabilite l'officier. Celui-ci est promu chef d'escadron (mais la durée de sa déportation n'est pas comptée comme ancienneté), et décoré de la Légion d'honneur dans la petite cour de l'École militaire, le 20 juillet.

L'affaire Dreyfus constitue un moment clé dans l'histoire de la France contemporaine. Son étude permet de dégager les forces intellectuelles, sociales et politiques qui jouent désormais un rôle nouveau dans la société française. L'enjeu dépasse largement le sort personnel du capitaine : l'affaire Dreyfus traduit une crise globale de la République à la fin du XIXe siècle, à la fois politique, sociale et culturelle. La réhabilitation du capitaine n'y a pas mis un terme : les failles révélées par l'épisode n'ont peut-être pas fini de travailler la société française.

droit naturel,

théorie philosophique et juridique. L'idée de droit naturel est probablement aussi ancienne que la pensée juridique et philosophique.

On la trouve déjà chez les stoïciens et chez saint Thomas d'Aquin, mais on admet généralement que c'est aux XVIe et XVIIe siècles, dans la lignée de Grotius (1583-1645) et de Pufendorf (1632-1694), que se produit une rupture épistémologique fondamentale entre le droit naturel théologique et le droit naturel laïc et moderne. À l'origine de l'école du droit naturel (ou jusnaturalisme), il y a la conviction qu'une loi non écrite, supérieure au droit humain positif, et compréhensible par la raison, s'impose à tous les hommes. Le droit naturel est cette loi universelle qui ne peut se réduire ni aux commandements divins ni aux lois civiles de chaque société humaine. Ainsi, Grotius écrit : « Le droit naturel consiste dans certains principes de la Droite Raison, qui nous font connaître qu'une action est moralement honnête ou déshonnête, selon la convenance ou la disconvenance nécessaire qu'elle entretient avec une nature raisonnable et sociable » (De jure belli ac pacis, 1625). La nature est source de principes, et détermine aussi ceux de la morale et de l'ordre politique. Le droit naturel est donc le référent auquel doivent se mesurer les actions des hommes et leurs institutions sociales et politiques pour éprouver leur caractère juste ou injuste. Parce qu'il est supérieur au droit civil, il est donc un formidable instrument de critique philosophique. Il confère ainsi une nouvelle légitimité théorique à l'idée de contrat social entre les gouvernants et les gouvernés, de même qu'il justifie le droit de résistance à l'oppression lorsque les droits naturels des hommes sont bafoués.

L'idée de droit naturel influence en profondeur la pensée politique du XVIIe siècle, et notamment celle de Locke. Au XVIIIe siècle, l'interprétation du droit naturel donnée par Grotius et Pufendorf est l'objet de vives critiques de la part des philosophes des Lumières : Rousseau s'éloigne du droit naturel, tandis que d'autres, tel Mably, radicalisent les conclusions des fondateurs du jusnaturalisme. De ce débat, souvent complexe, émerge néanmoins l'idée qu'il existe des droits inhérents à l'homme, que la société civile a pour devoir de garantir. C'est là l'origine des « droits naturels, inaliénables et sacrés » proclamés dans les Déclarations des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de 1793.

droit romain,

droit de l'Empire romain rassemblé dans de grandes compilations par les empereurs Théodose Ier le Grand (379/394) et Justinien Ier (527/565), et dont la redécouverte en Europe, à partir du XIIe siècle, transforme profondément les structures juridictionnelles et institutionnelles de la société médiévale.

L'abandon progressif du droit romain.

• L'effondrement de l'État romain et l'essor de l'aristocratie en Gaule franque entre le VIe et le VIIIe siècle entraînent l'effacement du droit public et l'oubli des textes juridiques impériaux. Toutefois, dans les régions fortement romanisées telles que le royaume de Burgondie, l'Aquitaine, la Septimanie wisigothique ou la Provence, des éléments du Code théodosien sont repris par les législations barbares (Loi romaine des Burgondes, Bréviaire d'Alaric), et continuent à être utilisés. Par l'édit de Pîtres (864), le roi carolingien Charles II le Chauve reconnaît d'ailleurs le droit romain - qui est encore appliqué par les tribunaux publics en Provence aux VIIIe et IXe siècles - comme prépondérant dans le Midi. Cependant, les troubles des IXe et Xe siècles finissent par faire disparaître, à leur tour, ces survivances méridionales du droit romain.

La redécouverte du droit romain.

• Dans la seconde moitié du XIe siècle, des manuscrits de la législation justinienne - que l'Occident n'avait jamais connue - sont retrouvés en Italie du Nord. Vers 1070, un premier enseignement, fondé sur le commentaire de ce que l'on appelle bientôt le corpus juris civilis (à savoir le Code, le Digeste, les Institutes, les Novelles), est attesté à Bologne. En un siècle, étudiants et maîtres diffusent l'enseignement du nouveau droit en Languedoc et en Provence. À la fin du XIIe siècle, l'école de Montpellier apparaît comme la plus réputée hors d'Italie. Parallèlement, le droit romain commence à être appliqué par les juridictions des communes urbaines méridionales, qui, à l'exemple des cités italiennes, prennent le nom significatif de « consulats ». L'Église se montre d'abord réticente devant ce qu'elle considère comme une législation concurrente du droit canonique : ainsi, l'enseignement du droit romain est prohibé à l'Université de Paris en 1219 ; mais elle finit par en adopter rapidement certains éléments, telle la procédure inquisitoire, utilisée systématiquement par l'Inquisition à partir des années 1230. Dès la seconde moitié du XIIIe siècle, le droit romain commence aussi à influencer la justice royale, et accompagne les progrès réguliers de celle-ci tout au long des XIVe et XVe siècles, aux dépens des juridictions ecclésiastiques, urbaines ou seigneuriales. Au début du XVIe siècle, les principes du droit romain sont appliqués dans tout le royaume dans le domaine du droit pénal. En outre, dans les régions méditerranéennes, ils imprègnent le droit privé.