impôt,
partie des ressources publiques provenant des prélèvements sur les fortunes, les activités économiques, les revenus des sujets ou des citoyens.
Le système des impôts et de leur administration constitue la fiscalité d'un pouvoir public dans les limites du territoire où ce pouvoir s'exerce : on distingue donc une fiscalité d'État et une fiscalité locale. Néanmoins, l'impôt ne renvoie pas seulement à un système technique de prélèvements, plus ou moins complexe et efficace au fil des siècles ; il traduit également, à travers les principes qu'il met en oeuvre, une conception de l'activité économique et des rapports sociaux. Sujet traditionnellement sensible en France - des révoltes antifiscales du Moyen Âge aux contestations récurrentes du système actuel en passant par l'hostilité des corps privilégiés à l'égard des réformes sous l'Ancien Régime -, l'impôt touche aux relations qu'entretiennent les pouvoirs publics et la société.
Les origines de la fiscalité royale.
• L'impôt, dont l'apparition coïncide avec la mise en place d'une structure étatique, lie le pouvoir et les particuliers par un échange d'obligations : le premier se doit d'assurer l'ordre public, les seconds sont tenus de lui en donner les moyens financiers.
Sur le territoire de ce qui deviendra le royaume de France, la Gaule est d'abord soumise à la fiscalité romaine, système d'un tel degré d'élaboration technique que ni les principes ni le vocabulaire n'en sont caducs aujourd'hui. Mais, dès le IIIe siècle, les sommes prélevées ne remontent plus guère au-delà des administrations locales. Après la chute de l'Empire romain, les royaumes dits « barbares », y compris le royaume franc, disposent d'une assise trop précaire pour donner les preuves qu'ils détiennent la puissance publique et, par conséquent, pour démontrer leur capacité de faire accepter l'impôt. Les trois premiers Carolingiens font à peine exception. La puissance réelle passe alors aux détenteurs de fiefs, à l'Église - c'est-à-dire aux évêques -, puis aux villes, quand celles-ci connaissent un nouvel essor à partir de la fin du XIe siècle. C'est pourquoi, entre les IXe et XIIe siècles, la fiscalité est exclusivement seigneuriale, ecclésiastique et municipale. Lorsque les Capétiens entreprennent de reconstruire un État qui transcende ces pouvoirs, la fiscalité royale fait figure de nouveauté extraordinaire aux yeux de sujets qui ont oublié depuis des siècles l'impôt d'État ; pour mieux s'intégrer aux pratiques en vigueur, elle se greffe sur la fiscalité féodale, le roi jouant du principe selon lequel il est le seigneur des seigneurs, le suzerain des suzerains. Jusqu'en 1789, la fiscalité monarchique gardera la trace de ces origines.
Croisades et guerres exigeant une conduite centralisée et des troupes soumises de préférence à l'autorité royale, les Capétiens peuvent, avec quelque apparence de légitimité, demander aux villes et à l'Église de leur abandonner une petite partie du produit de leurs impôts ; ils réclament également l'aide des grands féodaux, pour percevoir, en cas de besoins militaires, de nouveaux impôts, encore intermittents, mais qui annoncent la fiscalité royale permanente à venir. Ainsi, en 1291, Philippe le Bel tente d'établir une taxe d'un denier par livre (à peu près 0,5 %) sur les ventes de marchandises et, en 1295, une taxe de 1 % de la valeur de tous les biens. En 1343, Philippe VI de Valois instaure une taxe sur les ventes de sel et de boissons. Fondées sur l'aide au suzerain et sur la coopération des vassaux avec celui-ci, ces initiatives supposent une négociation. La naissance de l'impôt royal favorise donc, paradoxalement, la consolidation de contre-pouvoirs avec lesquels la monarchie doit compter : la convocation des états généraux, réunissant des représentants des barons, de l'Église et des « bonnes villes », est motivée à plusieurs reprises par les besoins fiscaux du roi.
Que la puissance de l'État se mesure à sa capacité de lever l'impôt, et que celui-ci soit lié originellement à la fonction militaire du roi, sont des réalités amplement démontrées par la « grève » fiscale à laquelle se livrent les états généraux pendant le règne chaotique de Charles VI. En réaction à cette période durant laquelle la monarchie est proche de l'effondrement, Charles VII rétablit, par l'ordonnance d'Orléans (2 novembre 1439), l'unité du royaume et l'allégeance des grands feudataires au souverain : du même mouvement de plume, cette ordonnance affirme le monopole royal de la levée de troupes, et interdit les prélèvements seigneuriaux motivés par des besoins militaires ; elle instaure également, sans limitation de temps, la taille royale, empruntant son nom au principal prélèvement féodal. Impôt par excellence dû au roi, la taille restera en vigueur pendant trois siècles et demi.
La fiscalité de l'Ancien Régime.
• Étant donné son origine féodale, la taille ne peut frapper que les roturiers - nobles et clercs contribuant par d'autres moyens au service du roi : « impôt du sang » pour les premiers, tâches spirituelles et activités charitables pour les seconds. Par ailleurs, la monarchie s'appuyant sur les autorités municipales contre les féodaux pour des raisons politiques, les souverains accordent fréquemment des chartes exemptant telle ou telle ville de la taille. Jusqu'en 1789, cette dernière frappe donc d'abord les roturiers ruraux.
C'est pourquoi la monarchie, devenue absolue avec le règne personnel de Louis XIV, s'efforce de contourner cette tradition de privilèges fiscaux en instituant des impôts censés frapper tous les sujets. Établie par décret en 1695, la capitation est exigée, en principe, de toutes les familles, à l'exception des pauvres taxés à moins de 40 sous de taille. Les contribuables sont répartis en 22 classes, selon leur situation sociale, chacune étant soumise à une taxe allant de 2 000 livres pour la première jusqu'à une livre pour la vingt-deuxième. À la capitation s'ajoutent, durant la première moitié du XVIIIe siècle, des impôts proportionnels sur tous les biens, le dixième en 1710, le vingtième (taxe de 5 %) en 1749 ; grande nouveauté, celui-ci suppose une déclaration des contribuables, alors que la taille et la capitation sont établies à partir d'indices extérieurs de richesse. Dans les faits, les privilégiés au regard de la taille ont presque toujours réussi à échapper à ces nouveaux impôts. Ainsi, les assemblées du clergé des années 1750 s'opposent avec une très grande vigueur à la soumission de l'ordre au vingtième, et obtiennent finalement gain de cause.