Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
L

libéralisme politique,

doctrine fondant l'organisation de la société et de l'État sur les droits de l'individu.

En France, le libéralisme a été exprimé avec solennité le 26 août 1789 lorsque la Constituante a voté la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Quasiment muette sur l'économie, celle-ci est avant tout la charte du libéralisme politique et social.

Les origines.

• Certes, il a existé antérieurement un « libéralisme aristocratique », hostile à l'absolutisme royal. Mais il se référait surtout aux libertés traditionnelles des ordres et des corps, à un état social ancien fondé sur le privilège et l'inégalité. Bien que son apport au libéralisme moderne ait été important (il suffit de penser à Montesquieu), il a été éclipsé par ce dernier à partir de la Révolution. Les principes de 1789 sont bien connus : liberté individuelle, liberté de conscience et d'expression (alors que les libertés collectives, de réunion et, surtout, d'association restent dans l'ombre) ; souveraineté de la nation et contrôle de l'exécutif par un Parlement qui la représente ; égalité des droits civils (mais l'accès aux droits politiques peut être soumis à des conditions de capacité) ; inviolabilité de la propriété (avec comme corollaire la liberté d'entreprise). Malgré cette affirmation spectaculaire, le libéralisme politique ne s'implante pas aisément en France. À quelques rares exceptions près, les mouvements et les partis qui s'en inspirent n'adoptent d'ailleurs pas, à la différence de leurs homologues britanniques ou allemands à partir du milieu du XIXe siècle, l'étiquette libérale.

Une difficile implantation.

• La période révolutionnaire et impériale est marquée par les échecs successifs du libéralisme, sans que soient d'ailleurs remis en cause les droits de l'homme, du moins en théorie. Victime de l'hostilité des « aristocrates », de la mauvaise volonté du roi, de la radicalisation d'une partie des « patriotes », surtout lorsque la guerre met la France en péril, la monarchie constitutionnelle s'effondre dès l'été 1792. Après la Terreur, les thermidoriens au pouvoir sous le Directoire ne parviennent pas à instituer durablement une République libérale, à laquelle s'opposent les royalistes et les jacobins. Si le Consulat et l'Empire maintiennent les conquêtes sociales de 1789, ils se situent politiquement aux antipodes du libéralisme, dont les porte-parole, tels les Idéologues (Benjamin Constant ou Mme de Staël), sont réduits à l'impuissance. Aussi la Charte que Louis XVIII octroie en 1814 et qui garantit le contrôle parlementaire et les principales libertés est-elle accueillie favorablement.

C'est cependant contre les gouvernements ultraroyalistes de la Restauration et la menace d'un retour à l'Ancien Régime que, dans les années 1820, la définition du libéralisme censitaire trouve son achèvement avec des théoriciens tels que Royer-Collard et Guizot (le terme de « libéraux » se substitue alors couramment à celui d'« indépendants » pour désigner ses partisans). Le libéralisme revendique avant tout le respect de la Charte et n'apportera à cette dernière, après la révolution de juillet 1830, que des modifications secondaires. Soucieux d'un équilibre des pouvoirs que symbolise la « double confiance » (le ministère doit avoir à la fois celle du roi et celle des Chambres), respectueux de la liberté religieuse et, dans certaines limites, de celle de la presse, les libéraux sont résolument hostiles au suffrage universel et réservent l'intégralité des droits politiques à une étroite oligarchie (surtout foncière). Toutefois, cette version conservatrice de l'orléanisme, qui inspire les gouvernements de la « Résistance » jusqu'en 1848, est contestée par d'autres libéraux de tendances diverses : Thiers et Charles de Rémusat souhaitent un système strictement parlementaire ; Alexis de Tocqueville juge inéluctable l'avènement progressif d'une démocratie que la décentralisation et la liberté d'association empêcheraient de devenir despotique, rejoignant ainsi les orléanistes du « Mouvement ».

Le libéralisme français connaît une nouvelle crise en 1848, sous la IIRépublique, puis sous le Second Empire. Au nom de l'ordre, nombre de ses représentants, à commencer par Thiers, récusent la première tentative de « synthèse républicaine » (libertés et suffrage universel) née des journées de février 1848. Mais c'est pour s'opposer bientôt au pouvoir autoritaire de Napoléon III, qui se veut fondé sur la souveraineté populaire.

Les succès du libéralisme.

• À partir des années 1860, la progression du libéralisme paraît irrésistible. En janvier 1864, Thiers, élu de l'« union libérale » (qui tend à regrouper d'anciens orléanistes et des républicains), prononce son discours-manifeste sur les « libertés nécessaires » : six ans plus tard, le régime impérial lui-même les a déjà en grande partie concédées. Après la chute du Second Empire, les libéraux de diverses nuances (non désignés comme tels) dominent l'Assemblée nationale. Ralliés ou non à la République, ils sont à l'origine des lois constitutionnelles de 1875, à laquelle ils impriment leur marque et qui jettent les bases, cette fois durables, de la synthèse entre démocratie politique et libertés, ces dernières étant solidement garanties par les lois de 1881 (presse et réunions), 1884 (syndicats) et 1901 (associations).

Débordés sur leur gauche par le radicalisme et le socialisme, les républicains de tendance libérale (« opportunistes », puis « progressistes » des années 1890) glissent vers le centre droit au début du XXe siècle. Certains d'entre eux (la Fédération républicaine) se situent même nettement à droite, auprès des catholiques ralliés de l'Action libérale populaire (soucieux surtout de défendre la « liberté religieuse » contre l'anticléricalisme). D'autres, telle l'Alliance démocratique, incarnée par Raymond Poincaré et Louis Barthou, continuent à participer au gouvernement aux côtés des radicaux. Entre les deux guerres, ces « modérés » jouent un rôle capital dans le Bloc national de 1919-1924, la coalition « poincariste » de 1926-1932, les majorités de « concentration » de 1934-1936 et 1938-1940 avec des hommes tels que Pierre-Étienne Flandin et Paul Reynaud. Minoritaires à la Chambre des députés, mais parfaitement intégrés au régime parlementaire, soutenus par une presse influente, dont le Temps peut être considéré comme le symbole, ils parviennent presque toujours (sauf durant les brèves périodes du Cartel des gauches et du Front populaire) à faire prévaloir l'orthodoxie financière et économique dont, à l'image de leurs prédécesseurs du XIXe siècle, ils continuent de se réclamer.