catholicisme. (suite)
Le temps des cathédrales
À l'apogée de la chrétienté médiévale, l'Église organise et contrôle la vie des fidèles sous tous ses aspects. Le sacrement de mariage sanctifie et garantit le couple et la famille. Le concile du Latran IV (1215) étend à tous les fidèles l'obligation de la confession et de la communion pascales. Le sacrement de baptême, les relations de parenté spirituelle, l'enseignement du catéchisme, la prédication, l'assistance à la messe dominicale, les rites funéraires, la solidarité des vivants et des morts exprimée à travers la prière pour les « bonnes âmes » du purgatoire et la quête des indulgences, les pèlerinages à Rome ou à Saint-Jacques, les fondations de messes, la vénération des reliques, l'intercession de la Vierge et des saints innombrables à la protection desquels se recommandent les croyants, enserrent l'existence terrestre dans un tissu dense de liens, de gestes et de croyances. Le droit canonique de l'Église, fort du « bras séculier » de l'État, régit les conduites individuelles et collectives, et sanctionne les manquements aux commandements, le blasphème et le sacrilège, les écarts à la norme morale ou sexuelle, le concubinage et la simonie des clercs, la magie, la superstition, l'hérésie enfin : au XIIIe siècle, la sanglante croisade des albigeois anéantit dans le Midi la doctrine cathare ; puis les juifs sont définitivement expulsés du royaume en 1394. Confréries de métiers ou de dévotion, fondations hospitalières et charitables, encadrent la vie sociale. Quant à la vie matérielle, elle est scandée par l'obligation du repos dominical, les fêtes chômées et les règlements rigides des corporations.
Le catholicisme inscrit également son élan dans l'architecture gothique, qui fait triompher l'ogive et le pilier, le vitrail et la rosace, ainsi que les immenses programmes iconographiques des façades sculptées. La basilique royale de Saint-Denis, dont Suger entreprend la reconstruction à partir de 1130, les admirables cathédrales qui surgissent entre Loire et Rhin au tournant des XIIe et XIIIe siècles à Bourges, Orléans, Chartres, Sens, Paris, Beauvais, Rouen, Coutances, Laon, Reims, Amiens, Metz et Strasbourg, comme dans le Midi, à Albi, Rodez et Narbonne, témoignent de l'équilibre souverain d'un art religieux parvenu au sommet de sa puissance créatrice.
La chrétienté médiévale est cependant déjà parcourue par des tensions qui menacent ses équilibres et fragilisent ses institutions. La renaissance des villes suscite l'implantation des ordres mendiants de saint Dominique ou de saint François, qui prêchent l'amour de la pauvreté et la conversion intérieure. Les courants spirituels tels que la dévotion moderne et mystique des XIVe et XVe siècles (que résume pour des générations un livre de sagesse, de piété et de vie, l'Imitation de Jésus-Christ) nourrissent la ferveur inquiète des foules, alimentent des dévotions pathétiques ou macabres et suscitent ici ou là une vive contestation de l'Église. La ville est aussi le lieu où voient le jour des écoles-cathédrales, puis des universités, où l'enseignement de la théologie, du droit, de la médecine et des arts libéraux entraîne une mutation culturelle de l'Occident : dès le XIIe siècle, la philosophie de Pierre Abélard se heurte violemment à la foi de saint Bernard ; puis, au siècle suivant, les synthèses théologiques équilibrées et rationnelles de Thomas d'Aquin cèdent le pas aux interrogations infinies de la scolastique et aux critiques de l'humanisme savant. Dans le même temps, le renforcement de l'État monarchique accroît l'autonomie du pouvoir temporel à l'égard de l'Église. Un conflit ouvert oppose dès l'aube du XIVe siècle Philippe le Bel au pape Boniface VIII : le principal conseiller du roi, Guillaume de Nogaret, organise un coup de force contre le souverain pontife (attentat d'Anagni, 1303), et le roi fait brûler le grand maître des Templiers sur inculpation d'hérésie (1314). Contrainte de quitter Rome pour s'établir durant près d'un siècle (1309-1377) en Avignon, sous la protection du roi de France, la papauté y consolide ses structures et sa fiscalité. Mais le grand schisme d'Occident l'affaiblit durablement. Charles VII lui imposera en 1438 la pragmatique sanction de Bourges, qui confère au roi les plus larges prérogatives en matière de nomination aux bénéfices ecclésiastiques. Entre-temps, ce dernier a pu rétablir son pouvoir, mis à mal par la guerre de Cent Ans et le conflit entre Armagnacs et Bourguignons, grâce à un sursaut prophétique et populaire. C'est en affirmant la légitimité du dauphin Charles que Jeanne d'Arc, pure et tragique figure paysanne et virginale, renoue les fils rompus de la sacralité royale, sauve la monarchie et relève la nation. Guidée par ses voix, elle libère Orléans et conduit en 1429 le dauphin Charles sur le chemin du sacre de Reims.
Crises, ruptures et fidélité
Menacée par l'autorité grandissante de l'État, secouée par les aspirations réformatrices, la chrétienté médiévale a vécu. Au début du XVIe siècle, la Réforme radicale de Luther, Bucer, Calvin et Bèze - la foi seule, et la seule Écriture - balaie l'humanisme dévot de Jacques Lefèvre d'Étaples et de Guillaume Briçonnet, et rompt l'unité de l'ancienne foi. Le protestantisme s'implante durablement en Alsace et dans une partie considérable du royaume (Dauphiné, Languedoc, Béarn, Poitou, Normandie). En 1562, le massacre des protestants de Wassy par les soldats du duc de Guise précipite la France pour trois décennies dans les guerres de Religion. Trois acteurs décisifs vont toutefois maintenir le royaume de France dans la foi catholique : la monarchie, l'Église, les fidèles. En 1516, le roi François Ier a signé avec le pape Jules II le concordat de Bologne, qui confère au monarque la nomination des évêques (que le Saint-Siège préconise au spirituel). Le Roi Très-Chrétien manifeste ainsi son attachement à l'unité de l'Église universelle tout comme aux libertés de l'Église gallicane, l'intransigeance finissant par l'emporter - par-delà quelques tentatives de compromis - au nom des intérêts politiques et des traditions religieuses de la monarchie. En 1546, François Ier fait exécuter pour hérésie le libraire et humaniste Étienne Dolet ; en 1560, la conjuration huguenote du prince de Condé est noyée dans le sang à Amboise ; en 1572, le Conseil du roi Charles IX organise à Paris l'élimination des chefs huguenots, qui aboutit au massacre de la Saint-Barthélemy ; en 1593, enfin, à Saint-Denis, le prince protestant Henri de Navarre (Henri IV) abjure solennellement pour s'imposer à la tête du royaume : « Paris vaut bien une messe. » Le Saint-Siège, qui a convoqué en 1545 le concile à Trente, accueille en 1562 les évêques français conduits par le cardinal de Lorraine : ils viennent porter leurs nostalgies conciliaristes et leurs revendications gallicanes, mais aussi l'assentiment de la première nation chrétienne d'Europe à la Réforme catholique ; la réception des décrets du concile de Trente est sanctionnée par le vote de l'assemblée du clergé aux états généraux de 1615.