famine. (suite)
Les stigmates de la famine.
• La plupart du temps, famine et épidémie conjuguent leurs effets. En multipliant le déplacement des traîne-misère, en diminuant les capacités de résistance physique, en provoquant la consommation de nourritures nocives (tel ce pain de fougère que les crève-la-faim du Craonnais firent porter à Versailles en 1683), la crise de subsistance est le terrain propice à de multiples contagions : une fois l'épidémie assoupie, les fièvres malignes (typhoïde) ou les flux de sang (dysenteries) donnent le coup de grâce.
Comme toute crise démographique, une famine s'accompagne d'une chute des conceptions et de la nuptialité, d'un accroissement des migrations, d'une poussée de mortalité. Les malades affluent alors vers les hôtels-Dieu et les hôpitaux généraux, et les abandons d'enfants sont multipliés (par cinq à Lyon, en 1709). Au bout de quelques mois, ou années, la tendance s'inverse : les migrations s'apaisent, la nuptialité et la natalité augmentent et, bien sûr, la mortalité chute. En dehors des crises à répétition, la récupération est donc rapide et le relèvement de la fécondité parvient à modérer le phénomène de classes creuses.
Les famines débouchent aussi sur des crises économiques. La cherté du pain conduit les plus modestes à différer les dépenses qui ne relèvent pas de la stricte subsistance, ce qui entraîne le chômage de nombreux ouvriers. Dès que monte le prix du blé s'abat le tragique « silence des métiers ». En outre, les famines entraînent un accroissement de l'endettement et une élévation du taux du crédit qui précèdent les aliénations de biens-fonds au profit d'heureux créanciers. À la dislocation des familles et à la multiplication de l'errance répond l'expropriation des plus démunis.
Si ces famines n'ont pas des effets négatifs pour tous (en libérant des exploitations, elles favorisent de nouvelles installations), elles ont de redoutables conséquences psychologiques. Longtemps ancrée en Occident, la peur de mourir de faim donne lieu à des violences collectives : pillages de convois de grains ; achats forcés à prix taxé chez les meuniers, les boulangers, les marchands de céréales, volontiers qualifiés d'affameurs. Les femmes jouent un rôle important lors des « émotions populaires » : ainsi en 1775, lors de la guerre des Farines, ou en octobre 1789, lorsqu'on va chercher à Versailles « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». La hantise de manquer de pain eut - paradoxalement et longtemps - pour conséquence de maintenir une économie étroitement domestique. Les partisans de la liberté économique, soucieux d'élargir les marchés, tel Turgot en 1774, passeront, auprès des foules favorables à la réglementation des prix et hostiles au « laissez-faire », pour responsables d'un « complot de famine ».
L'éradication du fléau.
• En dehors des interdictions répétées d'exporter les grains, l'État n'intervient qu'au coup par coup : la lutte contre la famine reste l'affaire de la charité chrétienne et des autorités locales ; les municipalités urbaines taxent le pain tout en subventionnant les boulangers et en organisant des bureaux d'assistance. À la fin du règne de Louis XIV, on procède aux premiers recensements des stocks et des bouches à nourrir. Les intendants adoptent des habitudes interventionnistes, lesquelles prendront un tout autre sens, provisoirement, au cours de l'an II. En 1817, le gouvernement crée une caisse de compensation destinée à subventionner les boulangers obligés de vendre le pain à bas prix.
Cependant, les fraudes sont légion, et la meilleure forme de lutte contre la pénurie est le développement de cultures nouvelles : légumineuses en Flandre dès 1125, sarrasin dans l'Ouest à partir du XVe siècle, maïs dans le Midi au XVIIe siècle, pomme de terre au XVIIIe siècle. Ce n'est qu'ensuite, grâce à la mise en place progressive d'un marché des céréales plus ouvert, que la France voit disparaître les famines.